Le sujet est fondamental. Il devrait être au cœur d’une stratégie caquiste pour accroître notre richesse et décarboner l’économie. Et il doit absolument être discuté au prochain sommet de l’énergie.

De quoi je parle ? De notre boulimie énergétique, chez les particuliers comme chez les industriels.

Pourquoi fondamental ? Parce que c’est ici que l’énergie crée le moins de richesse dans le monde industrialisé. Et parce que cette énergie, qui crée peu de richesse et que nous gaspillons, est responsable de 70 % de nos gaz à effet de serre (GES).

La Chaire de gestion du secteur de l’énergie fait un bon portrait de cette obésité dans son État de l’énergie au Québec, publié lundi. Pour nous en convaincre, les chercheurs Pierre-Olivier Pineau et Johanne Whitmore comparent les pays selon la richesse qu’ils parviennent à créer pour une même unité d’énergie.

C’est ce qu’on appelle la productivité énergétique, soit le produit intérieur brut (PIB) divisé par la quantité d’énergie utilisée (hydroélectricité, essence, gaz naturel, etc.), mesurée en gigajoule.

À ce chapitre, le Canada est le moins productif des grands pays riches de la planète. Il crée 208 $ US de richesse par gigajoule d’énergie, loin derrière la Suisse (796 $), l’Allemagne (442 $) ou même les États-Unis (314 $), qu’on imagine pourtant gaspiller bien davantage d’énergie.

Le Québec est légèrement plus productif que la moyenne canadienne (5 % de plus). Mais s’il était un pays, le Québec serait avant-dernier pour sa productivité énergétique, devant le Canada et derrière la Finlande (244 $) et l’Arabie saoudite (241 $).

Oui, le Canada et le Québec disposent de grandes ressources énergétiques, comme l’Arabie saoudite, ce qui les a longtemps incités à surconsommer. Et oui, il fait froid chez nous. Mais la Norvège, pays aussi froid, dispose également de beaucoup d’énergie, ce qui ne l’empêche pas d’avoir une productivité énergétique bien meilleure que la nôtre, soit 379 $ US par gigajoule.

Certains pourraient dire que notre boulimie s’explique par notre structure industrielle, axée sur l’exploitation des ressources, mais ce n’est qu’en partie vrai. Tous nos secteurs industriels créent moins de richesse par gigajoule que la moyenne mondiale mesurée (51 pays), selon la Chaire.

Dans le secteur des produits du bois, par exemple, un gigajoule produit 140 $ US de richesse, contre une moyenne mondiale de 510 $ US. Dans l’industrie de la construction, un gigajoule produit 1120 $ de richesse au Canada, bien moins que la moyenne de 3130 $.

Le secteur des métaux de base, dans lequel se trouvent nos alumineries, est le moins productif du lot : un maigre 20 $ par gigajoule, contre une moyenne de 150 $ dans le monde.

Des obèses, que je vous dis.

« C’est très préoccupant. Si l’on veut créer de la richesse, comme le souhaite Pierre Fitzgibbon, on va devoir augmenter cette productivité », a dit M. Pineau, directeur de la Chaire.

Écartez les doigts sur le graphique pour le visualiser en mode plein écran.

Justement, le nouveau ministre de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, était présent par vidéoconférence à la présentation de l’État de l’énergie, financé notamment par le gouvernement du Québec. Et dans son allocution, il a dit avoir pris note de nos lacunes industrielles en matière de productivité énergétique.

M. Fitzgibbon a répété vouloir accorder les contrats d’énergie aux projets selon leur contribution à la lutte contre les changements climatiques et leur création de richesse. Le hic, c’est que pour parler de richesse, le ministre utilise en public la productivité du travail plutôt que celle qui compte pour la décarbonation, soit la productivité énergétique.

Par exemple, il répète que les alumineries sont plus productives, créant 173 $ de richesse par heure travaillée contre une moyenne de 55 $ pour les autres industries, sans tenir compte qu’elles ont l’une des plus faibles productivités énergétiques parmi les industries.

Dans son analyse, la Chaire prend exemple de l’Allemagne. Là-bas, 5498 entreprises ont une certification à la norme internationale de l’énergie (ISO 50001), contre seulement 22 au Canada. Ces entreprises allemandes certifiées peuvent être admissibles à un important allégement fiscal, et les autres doivent subir un audit énergétique tous les quatre ans.

Le Québec n’en est pas là. La Chaire souligne néanmoins que dans son plan directeur en transition énergétique, le Québec s’engage, à partir de 2023, à « rendre la norme ISO 50001 obligatoire pour les grands consommateurs d’énergie qui souhaitent participer aux programmes d’aide financière ». C’est un bon premier pas.

Et dans son discours d’entrée, Pierre Fitzgibbon a dit vouloir utiliser les importants rejets thermiques des entreprises pour chauffer nos bâtiments, en plus de revoir la structure tarifaire pour inciter à la décarbonation.

« L’objectif n’est pas d’augmenter la facture des Québécois et des entreprises, mais bien d’inciter ceux-ci à une consommation optimale de notre électricité », a dit M. Fitzgibbon, qui veut déposer un projet de loi à l’automne prochain, après une consultation sur les enjeux énergétiques au cours des prochains mois.

On verra ce qui en ressortira. Mais je suis sceptique. Le Québec parviendra-t-il à augmenter sa productivité énergétique sans augmenter les tarifs électriques et inciter ainsi les Québécois à ne pas surconsommer notre énergie ? Ou préférera-t-on, plutôt, faire plus de projets énergétiques que nécessaire ?

Consultez l’étude État de l’énergie au Québec