Produire du lait de base devient moins rentable pour les laiteries, estime le Conseil des industriels laitiers du Québec (CILQ). Pendant ce temps, l’espace au détail consacré à ce produit – dont le prix minimum et maximum est réglementé – diminue au profit du lait à valeur ajoutée qui permet de dégager une marge de profit un peu plus intéressante. Et cette tendance pourrait se poursuivre.

« On le sait tous, le lait de base [que l’on retrouve dans des contenants en carton sans bouchon en plastique et en sac], c’est un marché qui n’a pas de marges », lance sans détour Charles Langlois, président-directeur général du CILQ.

Résultat : bien que les détaillants se soient engagés il y a quelques années auprès de la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec (RMAAQ) – qui fixe le prix plancher et le prix plafond de ce produit – à offrir du lait de base pour permettre aux consommateurs d’avoir un choix abordable, ce produit perd du terrain dans les frigos des supermarchés et des dépanneurs, constatent les experts interrogés.

Cette diminution d’espace a également été confirmée par Jean-François Lapointe, gérant de catégorie produits laitiers pour les marchés d’alimentation Pasquier, dont les deux magasins sont situés à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Delson.

L’espace occupé par le lait de base est moins important qu’avant, a-t-il affirmé au bout du fil, alors qu’il se tenait devant les frigos de produits laitiers de l’épicerie de Saint-Jean-sur-Richelieu.

Le lait de base représente environ 25 % de l’espace au total, le lait premium [avec bouchon de plastique, finement filtré] représente 40 %, et les autres produits [sans lactose, biologiques], le reste du comptoir.

Jean-François Lapointe, gérant de catégorie produits laitiers pour les marchés d’alimentation Pasquier

En dollars, le détaillant a enregistré au cours de la dernière année une augmentation de 19,6 % de ses ventes de lait de base contre une hausse de 30,6 % pour le lait premium et de 21,3 % pour les laits biologiques et sans lactose.

« La réalité en alimentation, c’est que les tablettes et les frigos sont des espaces finis. Chaque rangée de lait à valeur ajoutée qu’on rentre, c’est forcément une rangée de lait régulier qu’on enlève », indique pour sa part Pascal Thériault, agronome et économiste à l’Université McGill.

« On boit beaucoup moins de lait qu’on en buvait. C’est à l’avantage du consommateur et du détaillant d’avoir des laits à valeur ajoutée parce qu’on parle de laits qui ont des durées de conservation beaucoup plus longues. »

Pour ce qui est de la marge des détaillants sur le lait à valeur ajoutée, M. Thériault estime qu’elle ne peut pas être « à l’infini », notamment en raison de la compétition. Chez Pasquier, M. Lapointe parle d’une « légère marge ».

« Quand on vend du 4 litres de lait de base au prix plancher, ce n’est pas compliqué, on fait 0 % de marge dessus », reconnaît-il. En effectuant une recherche sur les différents sites internet des détaillants, un sac de 4 litres de lait de base (2 %) se vend présentement 7,49 $, contre 8,19 $ pour un lait finement filtré.

De moins en moins d’espace ?

Si les détaillants et les industriels laitiers assurent qu’ils ne veulent pas « abandonner » le marché du lait de base, l’espace qu’il occupe en frigo pourrait toutefois continuer de diminuer, selon le CILQ. Le groupe, qui représente notamment les laiteries et d’autres transformateurs comme des fromageries, ne cache pas sa « surprise » et son insatisfaction à la suite de la décision de la RMAAQ rendue la semaine dernière stipulant notamment que les consommateurs paieront leur litre de lait à 2 % de matières grasses deux cents de plus à partir du 1er février 2023. Cette hausse, d’environ 1 %, est nettement insuffisante, selon M. Langlois. « Le message qu’on reçoit, c’est que nos augmentations de coûts de production ne sont pas importantes, lance-t-il sans détour. Ça peut avoir des conséquences. »

Le fait que l’on ne reconnaisse pas les coûts des laiteries risque fortement de rendre ce produit encore moins rentable, ce qui pourrait avoir comme conséquence d’en réduire sa disponibilité sur les tablettes en faveur des laits à valeur ajoutée.

Charles Langlois, président-directeur général du Conseil des industriels laitiers du Québec

La semaine dernière, lors d’une séance publique de la RMAAQ portant sur des demandes d’ajustement du prix au détail du lait de consommation à partir du 1er février 2023, l’Association des marchands dépanneurs et épiciers du Québec avait laissé entendre que certains de ses membres pourraient cesser de vendre le traditionnel carton à lait si les marges continuaient de fondre comme neige au soleil.