La décision du président russe, Vladimir Poutine, de lancer ses troupes à l’assaut de l’Ukraine en février 2022 a eu des répercussions dramatiques pour le pays et entraîné une chaîne de réactions qui a bouleversé l’ordre du monde. Voici où l’onde de choc a été le plus ressentie.

Chine : les limites de « l’amitié sans limites »

PHOTO ALEXEI DRUZHININ, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président Vladimir Poutine et son homologue chinois Xi Jinping, à Pékin, le 4 février 2022, 20 jours avant l’invasion russe de l’Ukraine.

Le président chinois, Xi Jinping, et son homologue russe Vladimir Poutine avaient ponctué l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver à Pékin d’une longue déclaration commune soulignant « l’amitié sans limites » des deux pays et leur volonté de faire contrepoids à l’influence des États-Unis, vus comme une puissance en déclin. Les difficultés militaires rencontrées par la Russie en Ukraine sont cependant venues compliquer rapidement la relation, relève Guy Saint-Jacques, ex-ambassadeur du Canada en Chine. Pékin misait, dit-il, sur une offensive rapide devant permettre à Moscou d’installer rapidement un gouvernement ami à Kyiv et n’avait pas appréhendé l’importance que prendrait la résistance ukrainienne et l’étendue du soutien à venir des États-Unis et des pays européens.

D’ami inconditionnel, le régime russe est devenu un « ami encombrant » qui force les dirigeants chinois à manœuvrer délicatement pour éviter d’être ciblés à leur tour par des sanctions d’envergure, note M. Saint-Jacques. Cette réserve s’est manifestée notamment à l’automne lorsque le président russe a reconnu ouvertement que son homologue chinois avait des « préoccupations » relativement à la situation en Ukraine. Elle aurait aussi amené le régime chinois à faire pression sur Moscou pour écarter la possibilité d’un recours à l’arme nucléaire. Les ratés russes en Ukraine donnent par ailleurs matière à réflexion à Pékin relativement à tout assaut potentiel contre Taiwan. M. Saint-Jacques pense que le régime cherche à faire monter la pression sur l’île, mais n’est pas pressé de se lancer dans une aventure militaire d’envergure qui risquerait de le mener à un affrontement frontal avec les États-Unis.

3 %

C’est le taux de croissance économique de la Chine en 2022. À l’exception de 2020, jamais la croissance du PIB n’avait été si faible en Chine depuis des décennies.

11,5 %

Depuis le début des années 2000, ce taux a varié de 6 % à 14,2 %, avec une moyenne de plus de 11,5 % par année.

Source : National Bureau of Statistics of China

Nombre d’incursions aériennes chinoises dans la zone d’identification et de défense aérienne de Taiwan

2020 : 380

2021 : 960

2022 : 1727

Source : ministère de la Défense taïwanais

Russie : des contrecoups internes

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des policiers arrêtent un jeune homme à Saint-Pétersbourg, le 24 septembre dernier, durant une manifestation visant à dénoncer la mobilisation militaire partielle annoncée par Vladimir Poutine.

En tentant d’annexer l’Ukraine, le président russe Vladimir Poutine savait qu’il risquait de devoir faire face à une vague de protestations dans son propre pays. En réaction à l’attaque, des manifestants ont pris la rue par milliers, mais se sont rapidement heurtés à la réponse musclée des forces de sécurité. Le régime a réduit comme peau de chagrin toute liberté d’expression, allant jusqu’à prévoir de lourdes peines d’emprisonnement pour toute personne parlant de « guerre » plutôt que « d’opération spéciale ». Il a continué par ailleurs de serrer la vis aux opposants politiques et d’intensifier les pressions contre des acteurs importants de la société civile, comme le Groupe Helsinki, l’une des plus anciennes organisations de défense des droits de la personne, fermé sur ordre d’un tribunal. Ce nouveau tour de vis, note Brian Taylor, spécialiste de la Russie rattaché à l’Université de Syracuse, est venu souligner le caractère « dictatorial » du régime, qui a enregistré en 2022 le plus fort recul de l’indice démocratique produit par l’Economist Intelligence Unit (EIU).

L’emprise de Vladimir Poutine sur le pays a aussi permis de limiter les réactions internes aux sanctions économiques imposées en réaction à l’invasion de l’Ukraine. Elles ont pu être minimisées en redirigeant une partie des exportations de pétrole et de gaz vers la Chine, l’Inde ou la Turquie. « On a vu ça souvent par le passé. Les pays ciblés par des sanctions s’adaptent, trouvent des façons de contourner les restrictions », note Eugene Rumer, analyste du Carnegie Endowment for International Peace, qui peine à voir leur effet sur les ambitions ukrainiennes de Vladimir Poutine. « A-t-il changé son approche meurtrière ? Montre-t-il des signes d’hésitation ? », demande-t-il.

190 milliards de dollars

Valeur du commerce global entre la Chine et la Russie en 2022, en hausse de 30 % par rapport à l’année précédente

Source : Agence France-Presse

6000

Nombre de manifestants arrêtés en Russie dans les jours ayant suivi le lancement de l’attaque contre l’Ukraine

Source : Agence France-Presse

Union européenne : une cohésion surprenante

PHOTO MARTIN MEISSNER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le ministre de la Défense allemand, Boris Pistorius (à droite), à bord d’un char Leopard 2, lors d’un exercice militaire à Augustdorf, dans l’ouest de l’Allemagne, le 1er février

Les pays membres de l’Union européenne peinent, depuis des années, à présenter un front uni sur les questions de politique étrangère. La guerre en Ukraine a cependant changé la donne, suscitant un « niveau de cohésion et de solidarité » avec le régime du président Volodymyr Zelensky que la Russie elle-même n’avait sans doute pas anticipé, relève le directeur du département de science politique de l’Université de Montréal, Frédéric Mérand. Les tentatives du régime russe de mettre à mal cette cohésion en limitant ses exportations de pétrole et de gaz n’ont pas porté leurs fruits, pas plus que l’allusion répétée à l’utilisation possible d’armes nucléaires en Ukraine n’a empêché l’envoi d’armes de plus en plus sophistiquées. M. Ménard note que plusieurs États européens ont sensiblement accru pour ce faire leurs investissements en matière militaire, dont l’Allemagne, qui se montrait rétive à le faire par le passé pour des raisons historiques évidentes.

Le président russe Vladimir Poutine a cherché à tirer profit de la situation après l’annonce récente de l’envoi de chars Leopard 2 par Berlin en tentant de dresser un parallèle avec l’attaque des troupes nazies contre Stalingrad durant la Seconde Guerre mondiale. L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), dont « tout le monde promettait la fin » il y a quelques années, a retrouvé son sens, avec le soutien actif de l’administration américaine du président Joe Biden, et pourrait même s’élargir avec l’intégration projetée de la Suède et de la Finlande, relève M. Mérand, qui s’attend à ce qu’elle demeure d’actualité pour de nombreuses années. « La Russie va rester un problème, quoi qu’il advienne en Ukraine », souligne l’analyste.

De 53 à 65 %

Augmentation projetée des dépenses militaires européennes entre 2021 et 2026, comparativement à 14 % avant l’invasion russe

Source : McKinsey

Aide totale des pays européens à l’Ukraine

40 milliards de dollars américains d’assistance économique

18 milliards de dollars américains d’aide aux réfugiés

18 milliards de dollars américains de soutien militaire

Source : Conseil européen

Arabie saoudite : des gagnants et beaucoup de perdants

PHOTO BANDAR AL-JALOUD, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président Joe Biden est reçu par le prince héritier Mohamed Ben Salmane, dirigeant de facto du royaume saoudien, à Jeddah, le 15 juillet.

La flambée des cours du pétrole et du gaz qui a suivi le début de la guerre en Ukraine a fait des gagnants, mais surtout des perdants à l’échelle de la planète, alimentant une inflation galopante dans nombre de pays. Parmi les gagnants figurent notamment des États exportateurs comme l’Arabie saoudite qui avaient dû composer avec des prix très bas durant la pandémie de COVID-19. La situation s’est transformée en occasion politique pour le dirigeant saoudien Mohamed Ben Salmane lorsque le président des États-Unis, Joe Biden, a accepté de le rencontrer en personne pour solliciter une augmentation de la production de pétrole. Le dirigeant américain, qui espérait faire chuter le prix de l’essence à l’approche d’une échéance électorale importante, avait cherché jusque-là à garder à distance son homologue saoudien en raison de son rôle allégué dans l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi.

Le scénario était tout autre en Europe, où nombre de pays ont dû revoir en accéléré leurs sources d’approvisionnement pour se priver de l’apport de la Russie, qui a vu ses exportations de gaz à l’Union européenne chuter de 80 % de mai à octobre 2022. Benjamin Schitt, analyste du secteur énergétique rattaché à l’Université de Pennsylvanie, note que l’hiver plus chaud que prévu, la demande limitée venant de la Chine et l’importance des réserves de gaz constituées avant l’interruption russe ont permis de résister « remarquablement bien » à la crise. L’année qui vient risque cependant, en raison notamment de l’arrêt complet des livraisons russes, de représenter « un test plus sévère pour la résilience énergétique de la région », prévient-il.

Prix d’un baril de pétrole brut Brent

Décembre 2021 : 74,40 $ US

Mars 2022 : 117,20 $ US

Décembre 2022 : 81 $ US

Source : INSEE

115 %

Augmentation de l’indice du prix du gaz naturel de 2021 à 2022

Somalie : une guerre qui donne faim

PHOTO FEISAL OMAR, ARCHIVES REUTERS

Une mère est couchée aux côtés de sa fille de 3 ans qui souffre de malnutrition, dans un hôpital de la capitale somalienne Mogadiscio, le 25 octobre dernier.

Pour la Somalie, le scénario a tragiquement des airs de déjà-vu. Après avoir connu en 2011 une famine meurtrière et évité de peu une répétition de la crise en 2017, ce pays de la Corne de l’Afrique se retrouve de nouveau aux prises avec une grave crise alimentaire. Selon de récentes données des Nations unies, près de la moitié de la population ne peut se nourrir adéquatement et l’aide requise se fait attendre. Le réchauffement climatique, l’insécurité et la pandémie de COVID-19 ont contribué à la situation, qui découle aussi en partie de la guerre en Ukraine.

Près de 90 % du blé consommé provient normalement de Russie et d’Ukraine, qui ont vu leurs exportations perturbées par le conflit, alimentant une flambée des prix qui frappe de plein fouet les moins nantis. « On voit que la rupture des chaînes d’approvisionnement a clairement eu un impact significatif […] Il y a eu une augmentation importante du coût de la vie qui s’accompagne d’une augmentation marquée de l’insécurité alimentaire dans plusieurs pays », relève François Audet, spécialiste des questions humanitaires rattaché à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

En Somalie, comme ailleurs, la prise en charge de la situation est compliquée par le fait que les organisations humanitaires peinent à recueillir les fonds requis des donateurs. « Une grande partie de l’attention mondiale est retenue par l’invasion russe en Ukraine », relève M. Audet. L’indice des prix alimentaires de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, qui était supérieur en moyenne de 14 % en 2002 à celui observé l’année précédente, a diminué au cours des derniers mois, mais l’embellie pourrait être de courte durée. « Si la guerre en Ukraine continue, ça ne va pas aller en s’améliorant », prévient M. Audet.

349 millions

Nombre de personnes souffrant d’insécurité alimentaire aiguë dans le monde en 2022, comparativement à 287 millions en 2021. Elles sont réparties dans 79 pays.

Source : Programme alimentaire mondial

23 %

Augmentation de l’indice des prix des céréales entre janvier et mars 2022, le mois ayant suivi le début de la guerre en Ukraine

4,8 %

Augmentation de janvier 2022 à 2023 de l’indice des prix des céréales

Source : Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture

Ukraine : le coût de la dévastation

PHOTO DIMITAR DILKOFF, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des travailleurs de la construction grimpent sur le toit d’une église en ruine dans le village de Bogorodytchné, dans le Donbass, le 4 janvier. Selon la Banque mondiale, au moins 350 milliards de dollars américains seront nécessaires pour reconstruire l’Ukraine.

Le pays de 44 millions d’habitants a payé un lourd tribut depuis le début de la guerre, tant sur le plan humain qu’économique, et le bilan continue de s’alourdir alors que les combats se poursuivent dans plusieurs régions.

Plus de 8 millions d’Ukrainiens ont trouvé refuge ailleurs en Europe depuis un an, selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. D’autres encore se sont réinstallés dans des pays plus éloignés, dont le Canada.

Les plus récentes estimations de la Banque mondiale suggèrent qu’une somme d’au moins 350 milliards de dollars américains serait nécessaire pour assurer la reconstruction du pays, une somme supérieure de 50 % au PIB enregistré en 2021, avant le conflit. Le gouvernement de Volodymyr Zelensky, tout en se félicitant de la résistance affichée par l’armée et la population, s’alarme de la possibilité d’une nouvelle offensive russe d’envergure dans l’est du pays et presse ses alliés occidentaux d’accélérer la livraison d’armes plus sophistiquées, dont des chars. « Le coût assumé par les Ukrainiens est énorme, mais il n’est pas supérieur à leur volonté de préserver leur État et leur identité. Ils livrent une bataille existentielle », relève Dominique Arel, spécialiste du pays rattaché à l’Université d’Ottawa.

Il estime que l’Ukraine, malgré ses difficultés, a fait des avancées marquées sur le plan politique depuis l’éclatement de la guerre en obtenant un appui « sans précédent » de l’Union européenne et de l’OTAN. La question de son intégration formelle au sein de ces organisations, une possibilité à laquelle le président russe Vladimir Poutine s’oppose vivement, demeure pendante. Frédéric Mérand, qui dirige le département de science politique de l’Université de Montréal, note que l’UE a déjà accepté de considérer formellement la candidature de l’Ukraine, marquant un pas important qui aurait été « inimaginable » il y a un an.

17 994

Nombre de victimes civiles de la guerre en Ukraine selon les Nations unies

180 000

Nombre de soldats russes tués ou blessés depuis le lancement de l’invasion russe, selon un chef d’état-major norvégien, qui parle de 100 000 soldats ukrainiens tués ou blessés. Les deux camps reconnaissent des bilans beaucoup moins importants.

158 277

Nombre d’Ukrainiens qui sont arrivés au Canada, par les airs ou la route, depuis le 1er janvier 2022.

Source : Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada