Chaque jeudi, nous revenons sur un sujet marquant dans le monde, grâce au recul et à l’expertise d’un chercheur du Centre d’études et de recherches internationales, de l’Université de Montréal, ou de la Chaire Raoul-Dandurand, de l’Université du Québec à Montréal.

Avec des livraisons russes de gaz réduites de près de 80 % par rapport au niveau d’il y a à peine deux ans, l’Europe doit évaluer si elle dispose d’assez d’énergie pour se chauffer cet hiver.

L’an dernier, le Vieux Continent, pris de cours par la baisse historique des approvisionnements de la Russie, a joué de chance. Des températures clémentes, un marché du gaz moins tendu en raison de la politique de confinement en Chine, mais aussi des efforts de réduction de la demande ont permis aux pays de l’Union européenne de passer au travers.

Un tel concours de circonstances pourrait bien ne pas se reproduire cette année. Un hiver plus rude, une réduction totale des approvisionnements russes et une demande énergétique plus forte en Chine pourraient placer le continent dans une situation inconfortable.

Un retournement historique

Avant l’invasion russe de l’Ukraine, l’Europe, et en particulier l’Allemagne, tirait de la Russie presque la moitié de son gaz, requis pour le chauffage, la production d’électricité et ses usages industriels.

Ces ventes majeures de gaz, à prix concurrentiel, ont grandement contribué à la puissance économique des Allemands depuis 50 ans.

Ces ventes fossiles avaient aussi une forte portée politique. Elles avaient été envisagées dès les années 1970 comme une mesure de rapprochement entre l’Union soviétique de l’époque et le camp occidental. L’Ostpolitik (politique vers l’Est) visait, pour les dirigeants ouest-allemands, à créer une dépendance mutuelle propice à la paix durant cette période tendue de la guerre froide.

PHOTO MAXIM SHEMETOV, ARCHIVES REUTERS

Conduite du gazoduc Nord Stream 2, entre la Russie et l’Allemagne, aujourd’hui inopérant

Les gazoducs Nord Stream 1 (2011) et Nord Stream 2 (2022), reliant directement la Russie à l’Allemagne avec des tuyaux passant sous la mer Baltique, étaient un prolongement de cette vision et rendaient l’Europe encore plus dépendante du gaz russe.

Ces gazoducs sont depuis inopérants, notamment à la suite d’actes de sabotage commis en septembre 2022, dont la responsabilité n’a pas encore été établie.

Depuis 2022, Moscou a décidé de diminuer les approvisionnements en réplique aux sanctions économiques prises contre la Russie par les pays occidentaux. La situation a forcé les Européens à mettre en place, à toute vapeur, une série d’actions pour composer avec les prochaines périodes hivernales, des moments où la consommation de gaz est nettement plus élevée.

Il faut d’abord analyser le niveau du stockage. En général, le continent commençait l’hiver avec des stocks jamais au maximum de leur capacité. Cet hiver, les réservoirs sont pleins.

Ensuite, le continent européen, notamment l’Allemagne, s’est doté de terminaux temporaires d’importation de gaz naturel liquéfié, avec une capacité accrue de 20 %, ce qui lui permet d’en importer d’ailleurs que de la Russie, notamment des États-Unis et du Qatar.

Enfin, l’Europe a fait des gestes d’envergure pour réduire sa demande en gaz, grâce à une utilisation plus sobre de l’énergie. Avec des prix très élevés, le continent a consommé environ 15 % moins de gaz que l’année précédente. Il vise le même objectif cet hiver. C’est ambitieux.

Recul de l’influence russe

L’Europe espère un autre hiver pas trop rude, aucune variation subite du marché mondial et le maintien des approvisionnements actuels de la Russie.

On a aussi accéléré la mise en place de panneaux solaires (+ 50 %), de thermopompes (+ 40 %), avec 3 millions d’unités installées : il s’agit d’un record.

De plus, Électricité de France, aux prises l’an dernier avec des délais de maintenance ayant limité significativement sa production, a pu augmenter la disponibilité de son parc d’équipements en prévision de l’hiver qui s’installe, ce qui améliore aussi sa capacité à échanger avec les pays voisins.

Chose certaine, l’Europe a définitivement tourné le dos à l’énergie venant de la Russie, et ce, quelles que soient les évolutions politiques qui pourraient survenir dans ce pays.

C’est un nouvel alignement géopolitique, qui porte ombrage à l’avenir du secteur énergétique de la Russie, le pilier fondamental de sa puissance économique et de son influence en Europe.

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