L’ovation réservée à Yaroslav Hunka, vétéran ukrainien de la Waffen-SS, au Parlement canadien au début du mois, continue de susciter le débat. Ottawa se demande maintenant s’il faut diffuser les noms des centaines de nazis que le gouvernement a admis dans le pays. La plupart d’entre eux ne sont plus en vie, mais leur identification peut aider les citoyens à comprendre l’impact politique de ces personnes. Certains nazis ukrainiens sont devenus des personnalités publiques, l’un d’entre eux nommé président d’université et lauréat de l’Ordre du Canada. Ils ont passé leur vie dans le respect et la gloire. Ils étaient actifs dans la politique, et les résultats de leur activité sont toujours présents.

L’un d’entre eux est le monument aux victimes du communisme érigé non loin de l’endroit où Hunka était ovationné. Ce monument a été l’initiative de militants des diasporas est-européennes d’après 1945 au Canada, slovaque, lettone, ukrainienne et autres. Combien d’entre eux avaient un passé nazi ? Ce passé et leur haine des Russes ont-ils été des facteurs de motivation de commémorer les victimes du communisme plutôt que celles du fascisme ?

Il est tout aussi important de publier les documents pertinents – et les noms de leurs auteurs – qui expliquent comment notre pays a accueilli ces combattants nazis impénitents. (Hunka a écrit dans des blogues en 2010 et 2011 que les années passées sous les drapeaux de la SS ont été les meilleures de sa vie⁠1). Bien que les noms restent inconnus, il est clair pourquoi le Canada a ouvert ses bras à ces soldats et collaborateurs SS d’Europe de l’Est lors de Guerre froide : ils étaient farouchement antirusses.

Bien que le Canada ait participé à la guerre contre l’Allemagne nazie, le racisme, y compris l’antisémitisme, y était couramment pratiqué. Les juifs avaient bien plus de difficulté que les nazis à immigrer au Canada. Selon le livre intitulé None is Too Many 2 (« Aucun, c’est trop »), cette phrase a été prononcée par un haut fonctionnaire à qui l’on demandait en 1945 combien de juifs devraient être admis au Canada. Une phrase qui fait désormais partie de l’histoire du Canada.

Pour défendre le Canada, on peut dire qu’il n’était pas différent des autres pays occidentaux. Le racisme et l’antisémitisme ont été des valeurs européennes communes pendant des siècles. Dans les années 1930, le nazisme était non seulement populaire dans de nombreux pays, mais trouvait des adeptes dans les classes dirigeantes. Tout récemment, on a publié la carte de membre du parti nazi du prince consort néerlandais Bernhard, grand-père de l’actuel roi des Pays-Bas. Les troupes qui ont attaqué l’Union soviétique en juin 1941 ne provenaient pas uniquement de l’Allemagne nazie, mais comprenaient des conscrits et des volontaires de 15 pays européens. Contrairement à la guerre dans le reste de l’Europe, les nazis ont mené une Vernichtungskrieg, une guerre d’extermination, sur le territoire soviétique. De plus, les massacres de masse de nombreux groupes ethniques ont souvent été menés par des volontaires locaux, notamment en Pologne, en Ukraine et dans les pays baltes.

En saluant Hunka, Anthony Rota, alors président de la Chambre des communes, a déclaré : « Nous avons aujourd’hui dans cette salle un vétéran ukraino-canadien de la Seconde Guerre mondiale qui s’est battu pour l’indépendance de l’Ukraine contre les Russes et qui continue à soutenir les troupes aujourd’hui, même à l’âge de 98 ans. » Si M. Rota, multilingue titulaire d’une licence en sciences politiques, ne sait pas que combattre les Russes pendant la Seconde Guerre mondiale signifie se battre aux côtés des nazis, cela montre l’ignorance des tendances fascistes des tenants du nationalisme ethnique en Europe, y compris en Ukraine, qui ont trouvé un allié naturel dans l’Allemagne nazie.

PHOTO PATRICK DOYLE, LA PRESSE CANADIENNE

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky de passage à la Chambre des communes, le mois dernier

Mais, à part Volodymyr Zelensky dont le grand-père avait combattu les nazis dans les rangs de l’Armée rouge, il y avait au moins une personne dans l’hémicycle qui ne pouvait pas être accusée d’ignorance. Chrystia Freeland, vice-première ministre et ancienne ministre des Affaires étrangères, avait grandi au sein de la communauté ukrainienne du Canada et avait participé à des camps d’été nationalistes ukrainiens⁠3. Elle savait qui elle applaudissait sur le parquet du Parlement. Pourquoi l’a-t-elle fait ? Pour apaiser les inquiétudes de ceux qui sont troublés par des symboles nazis au sein de l’armée ukrainienne exposés dans le New York Times ?

Cela nous rappelle que les valeurs occidentales, que l’Ukraine est censée défendre dans sa guerre actuelle, doivent être replacées dans leur contexte historique. Les valeurs de racisme et de xénophobie pratiquées en Europe et dans ses colonies des siècles durant ont-elles été véritablement répudiées ou ont-elles été camouflées sous une rhétorique progressiste et bien-pensante tout en étant dirigées vers d’autres victimes ?

La division Waffen-SS qui a fait scandale à Ottawa est célébrée publiquement en Ukraine⁠5. On héroïse les vétérans SS locaux en Lettonie, où sont stationnés des soldats canadiens. La publication des noms des nazis et de ceux qui les ont accueillis sur notre sol devrait non seulement nous sensibiliser à l’histoire récente, mais aussi nous aider à faire de meilleurs choix politiques aujourd’hui.

1. Lisez un article de Forward (en anglais)

2. None Is Too Many : Canada and the Jews of Europe, 1933 – 1948, de Irving Abella et Harold Troper, University of Toronto Press (2023)

3. Lisez un article de Richard Sanders (en anglais) 4. Lisez un article du New York Times (en anglais) 5. Lisez un article du Times of Israel (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue