Chaque jeudi, nous revenons sur un évènement marquant dans le monde, grâce au recul et à l’expertise d’un chercheur du Centre d’études et de recherches internationales, de l’Université de Montréal, ou de la Chaire Raoul-Dandurand, de l’UQAM

Il y a 50 ans, en octobre 1973, après des années d’utilisation massive de pétrole pour les secteurs industriel et du transport, les pays occidentaux subissent leur premier choc énergétique de l’ère moderne. Ses effets se font encore largement sentir aujourd’hui.

À l’époque, les pays arabes producteurs de pétrole profitent de l’élan de la guerre du Kippour, entre Israël et ses voisins arabes, en 1973, pour imposer un embargo pétrolier contre les pays qui fournissent des armes à Israël, au premier chef les États-Unis.

Du jour au lendemain, l’approvisionnement en pétrole, qui a grandement contribué à la hausse du niveau de vie des pays occidentaux, est interrompu. Le prix du pétrole explose subitement, passant de 2,50 $ le baril à 11 $, se répercutant directement sur les prix du carburant à la pompe.

Rapidement, des files apparaissent aux stations d’essence. Certaines enseignes doivent même fermer temporairement, leurs réservoirs étant vides. Depuis ce moment, aux États-Unis, le prix de l’essence reste un enjeu central en période électorale.

L’embargo crée un choc retentissant.

Pour la première fois, les citoyens des pays riches prennent conscience de leur dépendance envers ce pétrole peu cher, mais venant de l’étranger. La grande part des importations américaines de pétrole vient du Moyen-Orient.

Des conséquences majeures et à long terme

Les effets de la crise sont immédiats. Prise de court, l’administration américaine de l’époque, celle de Richard Nixon et de son secrétaire d’État, Henry Kissinger, évoque la force pour pousser les pays producteurs à reprendre leur approvisionnement. Ils convoquent donc une conférence internationale qui mènera à la création de l’Agence internationale de l’énergie, dont la mission est d’assurer la sécurité pétrolière des pays riches.

Pour éviter la répétition d’une telle pénurie, Washington fait creuser des cavernes pour stocker des millions de barils, en Louisiane et au Texas. Ainsi est créée la Strategic Petroleum Reserve, en 1975.

Comme si ce n’était pas assez, en 1979, l’Iran, grand producteur pétrolier de la région, se met en ébullition. Des religieux remplacent le régime laïque au pouvoir, autrefois garant de la sécurité des approvisionnements pétroliers provenant du Moyen-Orient.

Pour pallier la chute de cet allié, le président Ronald Reagan, élu en 1980, envoie des troupes américaines au Moyen-Orient. Leur mandat, encore aujourd’hui, est de veiller à la sécurité des bateaux transportant le pétrole dans le détroit d’Ormuz.

Mais, pour la deuxième fois de la décennie, la Révolution iranienne fait monter les cours et contribue à une crise économique majeure dans les années 1980. Le chômage et l’inflation atteignent des sommets.

Devant cette incertitude politique qui a cours dans la région du Moyen-Orient, les pays riches prennent conscience de l’importance de leur sécurité énergétique.

La France et le Japon, par exemple, se lancent à fond dans la filière nucléaire pour leur production d’électricité. Dans le reste de l’Europe, notamment en l’Allemagne, on se tourne vers le gaz russe. On pense aussi que ces liens énergétiques — le gaz russe contre des paiements en monnaies européennes – permettront d’atténuer les tensions en cours pendant la guerre froide qui oppose à l’époque Washington et Moscou.

Les Américains s’opposent frontalement à cette dépendance énergétique accrue de l’Europe envers l’empire russe, qui engrangera selon eux ces revenus pour renforcer son armée. En 2021, l’Europe dépend du gaz russe à hauteur de 45 % de sa consommation annuelle.

L’année 2022 confirme le bien-fondé des craintes américaines. Le Kremlin utilise en effet cette dépendance bien établie de l’Europe envers son gaz pour chercher à lui faire accepter son invasion de l’Ukraine.

Les effets au Canada

Les effets de la crise pétrolière des années 1970 sont tout aussi profonds au Canada. Ottawa met en place une société d’État, Petro-Canada, et un Programme énergétique national, dont un des piliers est d’instaurer un prix du pétrole au Canada inférieur aux cours mondiaux, au profit des provinces non productrices.

C’est le début du ressentiment de l’Ouest canadien envers le gouvernement fédéral. Les régions productrices d’énergies fossiles considèrent cette politique comme une intrusion inacceptable dans le champ de compétence des provinces.

Au Québec, on prend davantage conscience de l’utilité de maîtriser ses sources d’énergie et la crise pétrolière accélère l’électrification du chauffage, grâce à l’électricité abondante rendue disponible avec les projets hydroélectriques de la Baie-James.

La crise énergétique de 2022, avec l’explosion des prix et les coupures d’approvisionnement énergétique de la Russie vers le Vieux Continent, entraînera des conséquences tout aussi profondes.

Dans les pays riches, l’invasion russe de l’Ukraine a renforcé la volonté de lancer véritablement la transition vers des énergies vertes : on a assisté à l’adoption de lois et de mesures proclimat de grande envergure, aux États-Unis, en Europe et au Canada.

Depuis, ce sont des milliards de dollars déjà investis dans la transition qui annoncent une vaste transformation industrielle qui changera complètement nos économies.

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