Chaque jeudi, nous revenons sur un évènement marquant dans le monde, grâce au recul et à l’expertise d’un chercheur du Centre d’études et de recherches internationales, de l’Université de Montréal, ou de la Chaire Raoul-Dandurand, de l’UQAM.

Parmi les nombreuses réactions aux dramatiques évènements qui endeuillent actuellement le Proche-Orient, celle des pays émergents est particulièrement intéressante : elle fait ressortir un écart qui semble toujours plus croissant entre l’Occident et ces États qui se positionnent comme une solution de rechange économique et diplomatique à la manière occidentale de percevoir les évènements internationaux.

À ce titre, la Chine et, à un moindre degré, l’Inde se posent en chefs de file de cette autre façon de voir et d’agir, laquelle est de mieux en mieux perçue dans ce qu’on a longtemps considéré comme le Sud global.

L’influence croissante de ces puissances asiatiques, qui traduit un glissement du pouvoir, notamment économique, en direction de l’Asie, confirme la nécessité grandissante pour l’Occident de développer une meilleure connaissance de ce qu’on appelle maintenant la région Indo-Pacifique.

Il est avant tout crucial de préciser ce que l’on entend par « région Indo-Pacifique ». Ce terme vient se substituer à celui, jusqu’ici couramment employé au Canada, d’Asie-Pacifique. Il décrit un ensemble géographique allant de l’océan Indien jusqu’aux rivages du Pacifique. Ce remplacement n’est pas anodin et fait ressortir une autre perception de l’Asie qui ne met plus seulement l’accent sur la Chine, en incluant, de manière stratégique, l’Inde, devenue le pivot d’une stratégie de contournement de sa grande rivale régionale.

Il est donc nécessaire d’avoir une bonne compréhension des objectifs, intérêts et particularités de ces puissances, faute de quoi – et l’actualité récente l’a prouvé au Canada par rapport à la Chine et à l’Inde – de vives tensions peuvent mettre à mal les efforts de coopération diplomatique et économique avec des partenaires incontournables.

PHOTO B MATHUR, REUTERS

Bouchon de circulation dans les rues de New Delhi, en Inde

En effet, l’Indo-Pacifique se positionne clairement comme le moteur de l’économie mondiale. L’Inde et la Chine devraient à elles seules compter pour la moitié de la croissance du PIB mondial en 2023 et 2024. La région représente désormais près de 40 % du PIB mondial, soit une part plus importante que celle des États-Unis ou de l’Union européenne.

Ainsi, bien que des désaccords ponctuels et non négligeables existent entre certains pays qui composent cette région, il est clair que le Canada et le Québec ne peuvent se permettre de l’ignorer, même si sa dénomination (Asie-Pacifique ou Indo-Pacifique) et sa délimitation précises peuvent encore faire débat.

Un monde d’occasions

La région est complexe, vaste et hétérogène. Elle est également incontournable et remplie d’occasions économiques, mais aussi diplomatiques et développementales. Pensons notamment aux pays de l’Asie du Sud-Est qui, situés entre l’Inde et la Chine, sont souvent considérés comme étant dans l’ombre de ces grandes puissances.

Pourtant, par sa centralité au sein de l’Indo-Pacifique, cette sous-région bénéficie d’une importance géopolitique exceptionnelle, matérialisée notamment par les voies maritimes vitales du détroit de Malacca et de la mer de Chine méridionale, qui acheminent plus de la moitié du commerce mondial en matière de tonnage. Sa population croissante de plus de 660 millions d’habitants (supérieure à celle de l’Union européenne) ajoute une dimension démographique et économique à son importance géopolitique.

PHOTO BRYAN VAN DER BEEK, ARCHIVES BLOOMBERG

Le port de Singapour est situé dans la sous-région de l’Asie du Sud-Est, qui bénéficie d’une situation géographique exceptionnelle.

Le Canada n’est pas le seul à s’intéresser à l’Indo-Pacifique. Les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, le Japon, l’Australie, mais aussi le Québec, ont récemment mis sur pied leurs propres stratégies pour mieux y définir leur engagement, que ce soit face aux nouveaux défis géopolitiques, à l’importance des flux commerciaux et des chaînes de valeurs mondiales, ou encore aux dynamiques politiques régionales.

Tant la stratégie québécoise lancée à la fin 2021 que la canadienne annoncée officiellement en novembre 2022 mettent de l’avant le caractère incontournable de cette région. Celle du Québec affirme que « l’Indo-Pacifique s’impose désormais comme l’épicentre des enjeux politiques et économiques mondiaux », et celle canadienne confirme que « [la] région indo-pacifique jouera un rôle déterminant pour définir l’avenir du Canada au cours du prochain demi-siècle ».

Il est donc assurément dans l’intérêt du Canada et du Québec de mieux connaître, percevoir et appréhender l’Indo-Pacifique ainsi que d’élaborer une approche mesurée et informée sur la manière d’interagir avec elle. Au-delà de l’attrait économique que représentent ses marchés, les diasporas qui en sont issues comptent déjà parmi les plus importantes au Canada et leurs tailles augmentent rapidement.

Pourtant, deux ans après le lancement de la stratégie québécoise et un an après la canadienne, force est de constater que les défis sont toujours plus nombreux, face à la Chine et à l’Inde, mais aussi face aux autres pays de la région comme le Viêtnam ou les Philippines. Si l’on ne peut que saluer l’avènement de ces stratégies, le passé récent révèle que ces engagements requièrent une approche diplomatique fine et multidimensionnelle, en synchronisme avec la nouvelle géopolitique mondiale ainsi que sensible aux différences et dynamiques propres aux États qui composent l’Indo-Pacifique.

C’est la raison d’être de la Chaire d’études asiatiques et indo-pacifiques du CERIUM, soutenue par le ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec, qui est lancée ce jeudi et dont l’ambition première est d’acquérir une meilleure compréhension et d’enrichir nos connaissances sur cette région dont l’influence est désormais incontournable.

* Yann Roche est professeur en géographie à l’UQAM et président de l’Observatoire de géopolitique de la Chaire Raoul-Dandurand, Dominique Caouette est professeur de science politique à l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire d’études asiatiques et indo-pacifiques et Ari Van Assche est professeur au département d’affaires internationales à HEC Montréal.

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