Chaque jeudi, nous revenons sur un sujet marquant dans le monde, grâce au recul et à l’expertise d’un chercheur du Centre d’études et de recherches internationales, de l’Université de Montréal, ou de la Chaire Raoul-Dandurand, de l’Université du Québec à Montréal.

Au moment où s’ouvraient les travaux de la Commission d’enquête sur l’ingérence étrangère, le mois dernier, Ottawa a décidé de suspendre le financement public des chercheurs canadiens qui réalisent des projets en collaboration avec certains instituts ou laboratoires liés principalement à la Chine, mais aussi à la Russie et à l’Iran. Onze secteurs névralgiques associés aux technologies de pointe et à l’intelligence artificielle ont été ciblés, tous considérés comme stratégiques pour le gouvernement.

Mais pourquoi doit-on geler nos relations de coopération scientifique avec la Chine ? Quel sera le prix à payer à court et à long terme ?

Se couper de l’écosystème de recherche et d’innovation de la Chine risque de creuser encore davantage l’écart qui existe dans la course au progrès.

Ce pays est devenu le nouveau leader mondial en sciences et technologies, en tête de palmarès dans 37 des 44 technologies émergentes qui domineront la vie en société au cours des prochaines décennies, selon l’Institut australien de stratégie politique.

La Chine excelle, entre autres, dans les secteurs de la défense, de l’espace, de la robotique, de l’énergie, de l’environnement, des biotechnologies, de l’intelligence artificielle, de l’informatique quantique et des matériaux avancés. Dans son sillon suivent les États-Unis, l’Inde et le Royaume-Uni et, plus loin derrière, la Corée du Sud, l’Allemagne, l’Australie, l’Italie, l’Iran, le Japon et le Canada.

Cette orientation récente des autorités canadiennes est aussi une réponse à la prise de position des services secrets des Five Eyes (États-Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande) réunis à Palo Alto l’automne dernier.

Ces pays visent surtout la Chine, dénonçant l’espionnage industriel organisé qui conduit au vol de propriété intellectuelle et à la spoliation des découvertes scientifiques pour s’en servir à des fins militaires et de profilage ou pour aller à l’encontre des valeurs associées au respect de la vie privée et aux libertés, si chères au bloc des pays de l’Ouest.

En plus de la Chine, les relations de coopération scientifique entre les pays de l’Ouest et la Russie sont également entrées en hibernation. Dans un récent rapport de Nature Climate Change1, des scientifiques sonnent l’alarme face à un appauvrissement des données scientifiques sur l’évolution de l’Arctique.

En cause ? Un gel de la coopération avec la Russie depuis le début du conflit en Ukraine. Les institutions russes recueillent des données importantes sur les forêts, le mouvement des glaciers, l’état du pergélisol, les émissions de CO2 et de méthane. De telles données, et surtout ce qu’elles révèlent quand elles sont partagées, sont névralgiques pour comprendre l’évolution du climat sur la planète.

La Chine en profite

Devant la frilosité de l’Occident à vouloir continuer la coopération scientifique avec la Russie, la Chine met le pied dans la porte et cherche à renforcer sa politique arctique et sa coopération politique, économique et scientifique avec les Russes.

Cette nouvelle alliance entre deux géants permet de créer une synergie entre la présence militaire, les infrastructures et les connaissances de la Russie et les ressources économiques et technologiques de la Chine.

Bref, on observe un glissement du monde scientifique multipolaire vers un monde bipolaire (Russie-Chine contre Union européenne-Five Eyes-Japon) afin de monopoliser le développement des technologies du futur. Les grands absents de ce débat, une fois de plus, sont les pays émergents et le Sud global.

Ces exemples illustrent bien comment le tandem science et innovation s’invite dans l’univers de la diplomatie et des relations internationales. La pratique de la diplomatie scientifique permet de mettre en lumière toute l’importance de la coopération entre nations par l’intermédiaire des chercheurs et des institutions de recherche, tant du secteur public que du secteur privé.

Cette coopération peut servir des objectifs nobles liés à la recherche de solutions pour affronter les grands défis auxquels la planète est confrontée, comme l’atteinte des Objectifs du développement durable des Nations unies (ODD) et la transition énergétique. Mais cette coopération peut également devenir un instrument ou un levier dans la poursuite des intérêts nationaux, qu’ils soient liés ou non au bien commun.

Nous sommes conscients du fragile et complexe équilibre entre le progrès de la science, la défense des intérêts nationaux et la sécurité nationale. Mais on peut remettre en question la pratique actuelle de diplomatie scientifique du Canada. Peut-on se permettre de geler la coopération scientifique avec des superpuissances étant donné les défis planétaires qui interpellent le concert des nations ? A-t-on le luxe de prendre encore plus de retard ?

La science, bien qu’on puisse condamner certains de ses usages, à l’image de la culture, est l’un des derniers remparts pour permettre le dialogue.

Consultez le rapport de Nature Climate Change (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue