La victoire surprise de l’opposition met fin à huit ans de règne ultraconservateur en Pologne et soulage l’Union européenne

Nom : Donald Tusk

Âge : 66 ans

Fonction : Probable prochain premier ministre de Pologne, ancien président du Conseil de l’Union européenne (2014-2019), ancien premier ministre de la Pologne (2007-2014)

Signes distinctifs : Europhilie, progressisme, difficultés

Pourquoi on en parle

L’opposition pro-européenne, menée par Donald Tusk, vient de remporter les législatives en Pologne, mettant ainsi fin à huit ans de règne du parti d’ultradroite populiste Droit et Justice (PiS). Selon le décompte officiel, la Coalition civique de M. Tusk (KO) et ses alliés de la Troisième Voie et de la Gauche ont remporté plus de 53 % des voix, contre 35 % pour le PiS de Jarosław Kaczyński (248 sièges sur 460, contre 194). Cette victoire inattendue a été marquée par un taux de participation record de près de 73 %, du jamais vu depuis la fin du communisme.

Une victoire sur le conservatisme

Cette élection est vue comme une victoire sur le conservatisme catholique et le nationalisme de repli. Avec le PiS, la Pologne s’est radicalement déportée vers la droite, avec ses positions anti-Union européenne, anti-immigration, anti-LGBTQ et ses mesures très restrictives sur le droit à l’avortement. Les années PiS ont aussi été marquées par des nominations controversées à la Cour suprême, des lois partisanes et une mainmise spectaculaire du parti sur les médias. « La défaite de PiS est d’autant plus surprenante qu’il a mobilisé toutes les ressources de l’État pour ces élections, en particulier aux deux stations de télé principales, qui étaient devenues des porte-voix pour le gouvernement », souligne Oliver Schmidtke, professeur du département de sciences politiques de l’Université de Victoria, en Colombie-Britannique.

Les jeunes et les femmes

La victoire du bloc d’opposition s’explique par une mobilisation sans précédent d’électeurs parfois réticents à se rendre aux urnes : les jeunes et les femmes. Selon les observateurs, les deux groupes ont exprimé une volonté de changement claire sur les enjeux de société et l’appartenance à l’Union européenne (UE). « Le PiS s’est maintenu au pouvoir grâce à ses succès économiques et à ses politiques pour les plus pauvres, note Oliver Schmidtke. Mais je pense que les gens en ont eu assez de ce nationalisme dur et de ce négativisme constant sur l’UE. » Pour Magdalena Dembińska, professeure de sciences politiques de l’Université de Montréal, la question de l’avortement a lourdement pesé dans la balance. « Je pense que la loi de 2021 pour restreindre le droit à l’avortement a été un moment déclencheur pour la mobilisation de masse », dit-elle.

Un pays à réparer

De l’avis d’experts, le pays fait figure de « pays à réparer » dans nombre de domaines. S’il parvient à former un gouvernement de coalition, Donald Tusk aura la lourde tâche de dénouer des mesures prises par le gouvernement précédent. Ses premiers chantiers seront de rétablir l’indépendance de la justice et de réformer en profondeur les médias publics, ainsi que la plupart des groupes contrôlés par l’État et gérés par des favoris du parti sortant. Il a aussi promis de libéraliser le droit à l’avortement, quoique des compromis seront sans doute nécessaires avec le parti de la Troisième Voie (centre droit), plus conservateur sur cette question.

L’UE se frotte les mains

Les relations entre la Pologne et l’Union européenne s’étaient franchement détériorées depuis 2015. Le PiS contestait la suprématie du droit européen en jugeant certains articles des traités de l’UE incompatibles avec la loi polonaise. Le parti s’était aussi opposé à la politique d’accueil des demandeurs d’asile de Bruxelles, refusant de partager la charge comme les autres pays membres et bloquant plusieurs compromis avec son alliée de circonstance, la Hongrie. Les relations devraient s’améliorer grandement sous Donald Tusk, europhile convaincu, ancien président du Conseil européen et négociateur du Brexit. Ses réformes devraient permettre de débloquer les 30 milliards d’euros gelés par Bruxelles en raison des différends avec le PiS sur la question de l’État de droit. La pression s’accentuera aussi sur le président hongrois Viktor Orbán, qui ne pourra plus compter sur son allié polonais pour faire front contre les politiques européennes.

Cohabitation difficile

Sur papier, un beau programme. Mais Oliver Schmidtke note qu’il sera « long et difficile » de renverser « l’héritage » du PiS, tant celui-ci est profondément installé dans le système polonais. « Cela prendra des années », résume l’expert. Défi d’autant plus grand que le gouvernement de coalition, s’il se confirme, devra faire face au président polonais Andrzej Duda, allié du PiS, qui dispose d’un droit de veto sur la législation. Les plus grandes réformes de Donald Tusk devront probablement attendre le départ de Duda, prévu en 2025. « Cette cohabitation peut être difficile, conclut Magdalena Dembińska. La Pologne est un pays très divisé. Ce n’est pas du jour au lendemain qu’on va avoir une politique de cohésion et de compromis. »

Le président Duda a 30 jours pour ouvrir une nouvelle session parlementaire, puis 14 jours de plus pour nommer un premier ministre, qui a ensuite 14 jours pour gagner un vote de confiance au Parlement.

Avec l’AFP, Politico, la BBC et France 24