La solution à deux États

Cette solution de compromis implique la création de deux États souverains, vivant côte à côte. Elle a été lancée pour la première fois en 1937 et fait depuis régulièrement surface, sans pour autant déboucher sur des résultats concrets, que ce soit par manque de volonté politique, ou à cause de déraillements provoqués par les franges extrémistes des deux camps.

Bien que jugée illégale par l’ONU, l’expansion de colonies juives en Cisjordanie palestinienne n’a fait que compromettre davantage cette idée, qui s’est progressivement retrouvée à la marge.

Depuis les attaques du Hamas le 7 octobre et le début de la guerre à Gaza, Washington, Pékin et d’autres gouvernements ont de nouveau ressuscité cette solution. Mais peu d’observateurs semblent encore croire à sa viabilité, estimant qu’elle est impraticable sur le terrain et qu’on a en quelque sorte passé le point de non-retour.

Il faut savoir qu’environ un demi-million de Juifs vivent désormais en Cisjordanie, où ils contrôlent militairement 80 % du territoire et ont érigé des villes de plusieurs milliers d’habitants au cœur du territoire. Bref, les deux sociétés y sont désormais si enchevêtrées que personne ne voit comment tracer de frontière entre les deux États. À moins que les colons juifs ne se retirent de Cisjordanie, ce qui apparaît peu probable, pour certains parce qu’ils y ont pris racine, pour d’autres pour des raisons religieuses.

PHOTO TAMIR KALIFA, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Des familles dans un parc de Tekoa, colonie israélienne en Cisjordanie occupée

« Beaucoup de collègues pensent que les deux États ne sont plus une option, lance Rex Brynen. Il avancent que les colons qui se sont installés illégalement en Cisjordanie prennent trop de terres, qu’ils sont trop influents politiquement pour être déplacés, et que nous sommes maintenant au stade où il est virtuellement impossible de dessiner un État palestinien souverain. »

Personnellement, je ne dirais pas que ce scénario est théoriquement ou géographiquement impossible. La question est plutôt de savoir s’il est possible politiquement. On ne sait pas à quoi ressemblera le prochain gouvernement israélien. Mais celui qui est en place actuellement est passionnément opposé à cette option. Et je pense que [les évènements du] 7 octobre [vont] accentuer cette position.

Rex Brynen, professeur à l’Université McGill et expert du Moyen-Orient

À noter que la solution à deux États est aussi remise en question dans les populations. Selon un sondage du Palestinian Center for Policy and Survey Research (PSR) de janvier 2023, 34 % des Juifs israéliens interrogés disent croire à la solution à deux États et seulement 33 % des Palestiniens, soit une baisse de 10 % par rapport à 2021. « Les Palestiniens n’ont pas renoncé à la solution à deux États parce qu’ils n’en veulent plus, mais parce qu’ils la considèrent comme inatteignable », précise Thomas Vescovi.

Consultez le sondage (en anglais)

La solution à un État binational

PHOTO AFIF H. AMIREH, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Des membres des forces de sécurité israéliennes montent la garde alors que prient des Palestiniens, à Jérusalem, le 13 octobre.

La solution à deux États est impossible ? Pourquoi ne pas envisager l’option à un État ?

Ce scénario, qui existe depuis les débuts de la question israélo-palestinienne, a repris de la vigueur face à l’intensité de la colonisation juive dans les territoires occupés. Il implique un État binational, où les deux peuples vivraient avec les mêmes droits politiques, sociaux et juridiques. Mais on se demande comment les Israéliens pourraient en partager la gestion, considérant la loi État-nation adoptée en 2018, qui grave dans le marbre le caractère juif de l’État d’Israël. La question démographique se pose par ailleurs, puisque la majorité juive se trouverait menacée par l’intégration de la population arabe des territoires palestiniens.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

La solution à un État binational mettrait en péril le caractère juif de l’État d’Israël.

« Est-ce que l’État d’Israël est capable d’être un État ouvert aux Israéliens et aux Palestiniens ? Je ne le sais pas, répond Marie-Joelle Zahar, professeure de sciences politiques à l’Université de Montréal. La communauté internationale a échoué depuis la réaction d’Israël à faire accepter ne serait-ce qu’une seule des résolutions qui ont été passées par les Nations unies. »

Je ne vois pas comment les gouvernements, notamment les plus influents avec Israël, pourraient imposer à cet État une solution à deux États. Ni à un État. C’est peut-être devenu un problème inextricable pour lequel je ne vois pas l’issue, du moins pas pour le moment, je pense qu’il va falloir attendre de voir ce qui se passe sur le terrain.

Marie-Joelle Zahar, professeure de sciences politiques à l’Université de Montréal

Pessimiste, Mme Zahar ajoute que les tenants de la solution à un État, en particulier les militants pacifistes de chaque camp, sont devenus trop minoritaires pour faire progresser cette idée. « Même si la solution est la seule qui pourrait avoir du sens à long terme pour la stabilité de la région, je ne vois pas que c’est une solution qui pourrait être concrétisée. »

PHOTO BERNAT ARMANGUE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le marché de Mahané Yehuda, dans la partie israélienne de Jérusalem, le 13 novembre

Selon le Palestinian Center for Policy and Survey Research, seulement 23 % des Palestiniens et 20 % des Israéliens interrogés soutiendraient l’option d’un État binational à droits égaux.

Une troisième voie : un État confédéral

Cette proposition, moins connue, commence à faire son chemin dans les esprits. Elle est entre autres développée par le groupe de réflexion A Land for All, qui réunit des Israéliens et des Palestiniens. Il s’agirait en gros d’une structure confédérale chapeautant deux États distincts, qui auraient chacun le mandat de gérer leur population, avec leurs lois, leurs règles, leur armée. Ces deux entités indépendantes seraient toutefois chapeautées par un certain nombre d’institutions, chargées de garantir le bon fonctionnement de la fédération, notamment en ce qui concerne la liberté de circulation et d’implantation. Des Juifs pourraient ainsi s’installer en Cisjordanie ou à Gaza, et des Palestiniens en Israël, à condition de respecter les lois de chaque entité. Un système comparable à celui de l’Union européenne ou de la Bosnie.

« Contrairement à la solution à deux États, qui est enracinée dans la séparation, notre plateforme a quatre avantages significatifs, écrit A Land for All sur son site web. Elle est plus réaliste en ce qu’elle n’est pas basée sur des déplacements forcés et le déni des droits. Elle est plus éthique en ce qu’elle est basée sur des principes de justice, de partenariat et d’égalité. Elle sert mieux les intérêts profonds des deux parties et elle fait appel à notre volonté de travailler vers l’expansion du bien commun. »

Solution viable ? « Oui, parce que ça permettrait que chacun ait sa souveraineté respectée, répond le chercheur Thomas Vescovi. Le problème, c’est de savoir si les peuples en voudront. »

Et on sait qu’en ce moment, au gouvernement israélien, ceux qui dirigent pensent que toute la terre de Cisjordanie doit leur appartenir. Donc la question reste entière…

Thomas Vescovi, chercheur indépendant spécialiste du Moyen-Orient

Consultez le manifeste d’A Land for All (en anglais)

Condamnés à résoudre

Beaucoup d’incertitude, voire de pessimisme, chez les experts interrogés. Dans tous les cas de figure, les obstacles et les culs-de-sac sont nombreux. « Je pense que dans l’état actuel des choses et des représentants politiques en présence sur le terrain, il n’y a pas d’autre issue que le statu quo », suggère Benjamin Toubol.

PHOTO AMMAR AWAD, ARCHIVES REUTERS

Des manifestants réclament la libération des otages détenus par le Hamas, à Tel-Aviv, le 18 novembre.

Il faudra pourtant bien dénouer cette impasse, conclut Thomas Vescovi. « Le 7 octobre a montré que la stratégie israélienne, qui visait à régler la question coloniale par des aspects uniquement sécuritaires, est une faillite complète. Il faut aller vers les solutions politiques. Sauf que cette solution politique ne pourra pas arriver avec les interlocuteurs actuels et elle ne pourra pas arriver sans l’intervention et l’implication de manière impartiale de la communauté internationale. Si on laisse Israéliens et Palestiniens face à face, avec les États-Unis comme arbitre, on recrée le schéma des Accords d’Oslo et ce sera un échec. »

PHOTO JOHN MACDOUGALL, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Coucher de soleil sur la côte israélienne, près de Tel-Aviv, le 16 novembre

5,5 millions d’habitants

Population des territoires palestiniens, comprenant la Cisjordanie (3,3 millions) et Gaza (2,2 millions).

9 millions d’habitants

Population d’Israël, soit environ 7 millions de citoyens juifs et 2 millions d’Arabes israéliens.