« À l’intérieur des murs, le temps ne passe pas vite. Le calendrier devient important, ne serait-ce que pour faire un X sur chaque jour qui se termine… En ce moment, on nous appelle pour savoir quand le calendrier carcéral sera enfin distribué ! »

La réponse, c’est à la mi-février, ajoute Chantal Montmorency.

J’ai discuté avec la directrice générale de l’Association québécoise pour la promotion de la santé des personnes utilisatrices de drogues (AQPSUD) pour en savoir plus sur un de ses outils de prévention : le calendrier carcéral. Si beaucoup ignorent son existence, il accompagne chaque année de nombreux individus en prison…

Un calendrier comme une béquille.

Ça me fascine autant que ça me touche.

Je veux dire, qu’est-ce qu’un calendrier, pour nous ? L’occasion de montrer quelques photos d’animaux ou de gens sexy ? Des morceaux de papier pour noter des rendez-vous banals et des anniversaires qu’on craint d’oublier ?

Pour d’autres, c’est un vent d’espoir et un rappel qu’on doit éviter les ITSS (infections transmissibles sexuellement et par le sang) en prison. Ça remet les choses en perspective, quand même…

Pour mieux comprendre le phénomène, il faut d’abord savoir qu’à l’AQPSUD, on croit à la réduction des méfaits. Toutes les personnes qui travaillent pour l’organisme communautaire sont des personnes utilisatrices de drogues ou l’ont été. Elles donnent dans la promotion de la santé, la prévention des ITSS, puis l’amélioration des conditions de vie des gens qui consomment.

Parmi eux, ceux qui sont détenus.

Chaque année, l’AQPSUD produit donc un calendrier conçu par et pour les personnes qui se trouvent dans une quinzaine de centres de détention du Québec et du Nouveau-Brunswick. Toutes les illustrations et tous les slogans sont créés par des individus détenus qui sont ensuite rémunérés pour leur travail.

Ils reçoivent 25 $ pour une phrase et 50 $ pour un dessin, sommes déposées dans leur cantine. « C’est non négligeable, précise Chantal Montmorency. Les personnes en prison sont très pauvres. »

Le calendrier devient donc une modeste source de revenus, mais une grande source de fierté et d’engagement.

« Notre slogan, c’est “Rien à notre sujet sans nous”, ajoute Chantal Montmorency. Les personnes détenues sont impliquées dans tout le processus ! Par exemple, l’an dernier, un homme nous a appelés pour nous dire qu’il aurait bien aimé que les phases de la lune soient indiquées dans le calendrier… Eh bien, elles sont dans l’édition 2023. »

Au-delà du cycle lunaire, plusieurs informations importantes se trouvent au fil des pages – on y défait certains mythes, prodigue des conseils sanitaires, précise que faire en cas de surdose, etc. Puis, chaque mois, il y a les mots des personnes détenues…

Parmi les slogans actuels et ceux des éditions passées : « La modération est conseillée et la responsabilité est de mise. » « Protège-toi » « N’abandonne pas ! » « La santé de ton cœur passe par la santé de ta tête. Avant d’exploser, la clef, c’est d’en parler. » « Don’t control your girlfriend while you are in prison ! »

« Même incarcérés, les gens sont conscients de ce qui se passe, croit Chantal Montmorency. Ils savent que ce type de violence augmente au sein de la population et ils veulent en parler. Qu’importe le sujet, quand c’est dit par les personnes concernées pour les personnes concernées, on atteint bien mieux la cible. »

Les œuvres et slogans qui se retrouvent dans le calendrier sont sélectionnés par un comité composé de Chantal Montmorency, d’employés et de membres de l’AQPSUD, puis de représentants du ministère de la Santé et du ministère de la Sécurité publique. Ceux-ci s’assurent qu’aucune image ne cache de référence au crime et que toutes les informations offertes sont justes.

Les exemplaires sont ensuite distribués dans une quinzaine de centres de détention, des maisons de transition, des organismes communautaires et chez les particuliers qui en font la demande. Le tout gratuitement ou avec une contribution volontaire.

Mais il ne s’agit que d’un des outils pensés par et pour les personnes utilisatrices de drogues et incarcérées. Par exemple, l’AQPSUD publie le magazine L’injecteur, trois fois par année, et un jeu de cartes fort populaire en prison. L’équipe planche également sur un jeu de tarot – la demande est là ! – et sur un cahier d’activités faisant la promotion de la santé qui sera cette fois distribué dans les pénitenciers fédéraux…

« Ça m’impressionne que vous jongliez avec deux grands tabous. La consommation de drogues et l’incarcération, ce sont des thèmes épeurants.

— C’est pas sexy, je sais, me répond la directrice générale de l’AQPSUD. Mais c’est important.

— Qu’est-ce que tu aimerais qu’on comprenne mieux, à ce sujet ?

— Que les personnes utilisatrices de drogues incarcérées le sont souvent parce qu’elles sont pauvres ou parce qu’elles ne sont pas blanches. Moi, je suis une utilisatrice de drogue, mais je suis blanche et je n’ai pas de tatouage sur le visage, alors je ne me fais pas déranger pour ça ! Beaucoup de gens qui se font criminaliser le sont parce qu’ils ont un certain profil… Il ne faut pas l’oublier. »

Noté. C’est à ça que je réfléchirai quand je passerai au mois de mars, sur mon calendrier.