Chronique|

L'activisme politique des femmes américaines

Depuis quatre ans, les femmes blanches des banlieues américaines sont entrées sous l’impulsion de Donald Trump dans une nouvelle ère d’activisme politique.

CHRONIQUE / Depuis quatre ans, les femmes blanches des banlieues américaines sont entrées sous l’impulsion de Donald Trump dans une nouvelle ère d’activisme politique. Des centaines de milliers de femmes ont découvert via les médias sociaux qu’elles partageaient une haine dévorante. Elles étaient toutes devenues férocement anti-Trump. Dans une série d’articles, la revue Atlantic examine en détail ce phénomène.


Nous apprenons ainsi comment le président américain a incité les femmes des banlieues à se mobiliser en suscitant la colère. C’est ce qu’elles firent en 2018, en se joignant spontanément comme bénévoles à des campagnes d’inscription des électeurs afin d’inviter les Américains à voter pour les candidats démocrates. Les résultats furent très tangibles. Les démocrates remportèrent la chambre des représentants. 

La particularité de ces femmes de banlieues réside dans la façon dont elles expriment leur sentiment anti-Trump. Elles ne se contentent pas de voter uniquement dans les élections nationales. Elles ont pris aussi pour cibles les élections locales, comme les conseils scolaires ou municipaux, les assemblées législatives et les gouvernements des États. Cet activisme politique est si grand qu’il a le potentiel de refaçonner considérablement la politique américaine.

En effet, si les villes américaines étaient depuis des décennies des bastions démocrates, les banlieues étaient devenues des châteaux forts républicains. Ce revirement des femmes blanches a eu pour effet potentiel de restreindre la base politique du parti républicain aux régions rurales.

La victoire surprise de Donald Trump fut la première incitation à se révolter. Des milliers de femmes âgées de 35 à 65 ans réagirent comme si elles se réveillaient après un mauvais rêve. Ces femmes blanches éduquées décidèrent de s’unir et de ne pas se limiter à pleurer sur leur sort, mais d’agir. L’activisme politique devint leur objectif. Si leur colère avait une dimension nationale, leurs actions seraient avant tout locales.

Dès décembre 2016, elles se dotèrent d’un manuel d’activisme politique intitulé Un guide indivisible. Ainsi, plus de 2500 petits groupes locaux de résistance, composés souvent de moins de 100 militantes et adoptant le sigle GRR (Grass Roots Resistance), se formèrent de l’Arizona au Wisconsin en passant par l’Ohio et la Pennsylvanie pour promouvoir les valeurs démocratiques. 

Ces groupes fonctionnent largement hors des créneaux habituels du parti démocrate. D’ailleurs, ces nouveaux groupes se font souvent rejeter par l’aile gauche du parti démocrate, qui les accuse d’être des personnes stupides, d’être trop bourgeoises, de ne pas vouloir changer fondamentalement les choses et de ne pas avoir vraiment de principes politiques.   

Néanmoins, l’inquiétude de ces femmes est légitime. Elles partagent le même sentiment : leur situation se détériore au fil de la présidence de Donald Trump. Par conséquent, leur activisme politique était très bien ciblé. En plus de surveiller les votes de leurs représentants locaux, elles mobilisèrent leur énergie dans le recrutement de nouveaux membres, la collecte de fonds électoraux, le lancement d’une campagne contre le gerrymandering mis en place par les républicains, l’incitation de femmes à se présenter comme candidates au Congrès, le porte-à-porte en faveur des candidats locaux et l’envoi de milliers de cartes postales pour inciter les gens à aller voter.

Mouvements locaux

Même si ces groupes de femmes ne font pas partie à proprement dit du parti démocrate, leur activisme a pour effet de renforcer l’infrastructure du parti. Ce mouvement a sensiblement le même effet sur l’ensemble des États-Unis que le Tea Party eut en 2010 sur le parti républicain. Dans les deux cas, nous assistons à des mouvements locaux de résistance qui redynamisent les institutions locales et surveillent les élus locaux selon un engagement civique de taille.

Cet activisme politique en masse des femmes de banlieues représente un changement fondamental dans la politique américaine. Ce phénomène est d’autant plus important qu’il survint dans des endroits où le parti démocrate avait perdu ses racines politiques. Ces groupes de résistance suppléent à la diminution des syndicats et autres groupes libéraux. Ces femmes sont devenues par leur engagement bénévole « des soldats dans cette bataille pour la démocratie » où il ne se trouvait plus personne pour combattre.

En dépit de l’arrivée de la pandémie, leur activisme politique n’a pas ralenti. Au lieu de se rassembler en présentiel, elles ont continué de se rencontrer par groupe de 30 à 35 personnes dans leurs cuisines ou salons en recourant au système Zoom. Chacune des réunions virtuelles sert à définir et à se partager différentes missions à court terme. Entre-temps, elles demeurent en contact étroit entre elles en communiquant par textos. Le travail à réaliser peut sembler illimité, leur enthousiasme l’est tout autant.

Les GRR sont devenues en 2018 une force incontournable de la politique américaine. Habituellement, le parti républicain se montrait beaucoup plus capable de mobiliser sa base que le parti démocrate lors des élections de mi-mandat. En 2018, la situation fut très différente. Les États-Unis assistèrent alors au taux de participation électorale le plus élevé de leur histoire dans une élection non présidentielle. Ce revirement qui profita aux démocrates fut largement dû au travail des GRR.    

Pour les GRR, un retour en arrière est impossible. Ces groupes de femmes se sont mobilisés pour assurer l’élection de Joe Biden et Kamala Harris. Depuis six mois, sondage après sondage, les données accordent à Joe Biden 10 points d’avance sur Donald Trump. Ces chiffres démontrent une marge historique incroyable qui pourrait préfigurer un balayage démocrate. 

Ces chiffres signifient aussi que quelque chose d’extraordinaire est survenu dans l’opinion publique américaine concernant Donald Trump. Or, les GRR sont largement responsables de ce changement d’état d’esprit. Trump a lui-même reconnu le phénomène le 19 octobre, alors qu’il suppliait les femmes des banlieues de réapprendre à l’aimer.

Gilles Vandal est professeur émérite à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke.