DE LA DPJ À LA RUE | « Je ne savais pas où aller »

À compter du 26 avril, la DPJ sera légalement tenue d'offrir un «plan de transition à la vie adulte» aux jeunes qui approchent la majorité.

Quand Geneviève a eu 18 ans, on lui a demandé de quitter sa famille d’accueil, en lui souhaitant simplement «bonne chance». Ex-enfant de la DPJ, elle a ensuite passé six ans dans la rue.


Le cas de Geneviève Caron n’est pas isolé: un jeune adulte sur trois a vécu en situation d’itinérance une fois «libéré» par la Direction de la protection de la jeunesse. À compter du 26 avril, la DPJ sera légalement tenue d’offrir un «plan de transition à la vie adulte» aux jeunes qui approchent la majorité. Le plan, qui prévoit une meilleure préparation en vue de leurs 18 ans, était réclamé par les experts et les jeunes, qui dénonçaient «l’énorme décalage entre le centre jeunesse et la vraie vie».

« On m’a dit: ‘Geneviève, tu vas avoir 18 ans, il faut que tu partes’. Je ne savais pas où aller ni quoi faire. Je suis partie pour Montréal, car on m’avait dit que ça allait être plus facile de trouver des ressources. Finalement, j’ai passé six ans dans la rue», raconte la jeune femme, aujourd’hui âgée de 29 ans.

À l’époque, elle n’avait pas de diplôme d’études secondaires ni revenu ni endroit où s’installer.

Geneviève Caron a vécu six ans dans la rue après avoir quitté sa famille d'accueil à 18 ans.

«J’ai parfois été contrainte de dormir sur un banc. Je n’étais pas capable de me trouver un logement, car je n’avais pas de revenu. J’ai été coincée dans une relation de violence conjugale. Ç'a été horrible. Déjà qu’on est des jeunes qui ne l’ont pas eu facile, ce n’est pas mieux une fois adulte. Pourtant, tout le monde mérite sa chance», explique Geneviève Caron, qui va bien aujourd’hui. Elle vit en appartement avec son conjoint et son animal de compagnie et s’implique au sein du Collectif des jeunes ex-placés de la DPJ.

Parmi les jeunes adultes qui se retrouvent en situation d’itinérance, plus du tiers ont rapporté un épisode d’errance de plus d’un mois, révèle le rapport de la Commission Laurent sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse.

«Ce n’est vraiment pas anecdotique comme situation, confirme Martin Goyette, cotitulaire de la Chaire-réseau de recherche sur la jeunesse du Québec et directeur du Partenariat sur le devenir des jeunes placés.

«Surtout lorsqu’on sait que dans la population générale, c’est environ 1% des gens qui vont vivre un épisode d’itinérance dans leur vie, peu importe l’âge. Là, on parle d’un jeune sur trois. C’est énorme», ajoute-t-il.

Certains ont été contraints d’errer durant des mois, parfois à quelques reprises. D’autres durant des années, avant de se poser quelque part.

Il y a quelques années, Emma-Johnson, qui était sous l’égide de la DPJ entre 8 et 18 ans, a quitté le centre jeunesse avec son bagage, pour finalement se retrouver à la rue, elle aussi à Montréal. Elle a vécu un épisode d’itinérance durant l’été 2020, passant d’un refuge à un autre pour dormir et se nourrir.

«Je trainais mes sept sacs avec mes affaires. J’étais perdue, pas prête du tout pour la vie adulte.»

—  Emma-Johnson, ex-enfant de la DPJ

Incapable de trouver un endroit où vivre, elle a pu retourner brièvement au centre jeunesse. «C’est un peu grâce à la COVID que j’ai pu y retourner, car tout était plus difficile d’accès. J’y suis restée durant l’automne, mais en le quittant la seconde fois, en décembre, je me suis encore retrouvée dans la rue. Ça a duré jusqu’en mars 2022. C’était vraiment très dur», raconte la jeune femme, aujourd’hui âgée de 21 ans.

Elle a finalement trouvé une ressource en santé mentale, où elle vit aujourd’hui, et s’est aussi jointe au Collectif.

Le soutien financier au logement et l'accès à des services en santé mentale sont les deux principaux enjeux soulevés par le Collectif des jeunes ex-placés.

«Ça se passe bien. Mais je ne suis vraiment pas la seule à avoir vécu une transition difficile, du centre jeunesse à la vie d’adulte. Nous ne sommes pas du tout préparés. On nous explique comment faire un budget, mais c’est tout. Il faut des suivis et de l’aide pour nous trouver un emploi, un logement. On n’est pas autonome en quittant le centre», souligne Emma-Johnson, qui milite pour un suivi et de l’aide jusqu’à 25 ans.

Pour la directrice générale du Collectif des jeunes ex-placés de la DPJ, Jessica Côté-Guimond, les enjeux financiers pour la recherche de logement et l’accès aux soins de santé mentale sont les deux principaux problèmes vécus par les jeunes.

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Cogner aux maisons d’hébergement pour itinérants

Dans les maisons d’hébergement pour itinérants, la moitié des jeunes qui cognent aux portes sont des ex-enfants de la DPJ, déplore Martin Goyette, qui a témoigné à titre d’expert lors de la Commission Laurent, en 2021.

À Roberval, au Lac-Saint-Jean, le centre Mamik a été contraint d’ouvrir une halte-chaleur, cet hiver, pour contrer le problème d’itinérance chez les Autochtones du secteur. Parmi eux, des ex-enfants de la DPJ sans logis ont été accueillis.

«C’est un problème qu’on voit de plus en plus, témoigne la directrice générale du centre Mamik, Mélanie Boivin. Présentement, nous en accueillons trois. C’est beaucoup pour une petite localité. Ce sont des jeunes qui ont quitté les services de protection de la jeunesse et qui n’ont pas d’endroit où vivre. Ils sont parfois une douzaine dans un petit logement, ils errent et passent d’un endroit à l’autre.»

Mélanie Boivin est directrice du centre Mamik de Roberval.

Elle explique que certains jeunes adultes qui quittent la DPJ à 18 ans aimeraient retourner dans leur famille, qui n’a souvent pas la place ni les outils pour les accueillir. « Alors, plusieurs vivent d’itinérance», se désole-t-elle.

Les Autochtones sont d’ailleurs surreprésentés au sein des services de protection de la jeunesse, souligne Martin Goyette. Ils sont 3,5 fois plus à risque d’être évalués par la DPJ, comparativement aux jeunes non-Autochtones, et 4,3 fois plus à risque d’être placés, selon une étude réalisée en 2019.

«Alors, c’est certain qu’ils sont surreprésentés aussi lorsqu’on parle d’itinérance», note l’expert.

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Un plan réclamé

Le sort des jeunes adultes qui quittent les services de la DPJ, sans filet de sécurité ni suivi, s’est retrouvé sous la loupe de la Commission Laurent, il y a deux ans. Résultat: à compter du 26 avril, la DPJ sera légalement tenue d’offrir un plan de transition à la vie adulte pour chaque adolescent de plus de 16 ans sous sa responsabilité. En 2021-2022, ils étaient plus de 6800 dans cette situation. C’est donc dire qu’environ 2200 d’entre eux pourraient vivre un épisode d’itinérance lorsqu’ils quitteront les services sociaux.

Le sort des jeunes adultes qui quittent la DPJ avait été étudié lors de la Commission Laurent.

Questionné par les Coops de l’information, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) confirme que ce plan a bien été présenté aux intervenants et qu’«ils seront élaborés, en réponse aux besoins de chaque jeune».

Il est également question de période de préparation dans les six derniers mois du placement. «Ces séjours doivent permettre, dans les six mois avant la majorité, la préparation au passage à la vie adulte en intégrant progressivement, et avec accompagnement, le nouveau milieu de vie où il est prévu qu’ils habitent après leurs 18 ans. Ces séjours doivent être prévus dans le plan d’intervention et être adaptés aux besoins du jeune », indique Robert Maranda, responsable des communications au MSSS.

Le dossier du jeune adulte, qui était détruit une fois la majorité atteinte, sera désormais préservé jusqu’à ses 43 ans. Cette destruction était dénoncée, puisqu’elle empêchait les ex-enfants de la DPJ d’avoir accès à leur histoire et leur parcours de vie.

Le Programme qualification jeune, qui vise à offrir un accompagnement à la transition vers la vie adulte jusqu’à 25 ans, sera également rehaussé, note le ministère. Ce programme existait déjà, mais plus de jeunes pourront y avoir accès.

Il n’a toutefois pas été possible d’obtenir une entrevue avec le MSSS, qui a répondu à nos questions par courriel.

Du côté de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, il est encore trop tôt pour mesurer les impacts d’un tel plan, a indiqué la présidente nationale du syndicat, Karine Ferland.

Au Collectif, malgré plusieurs démarches et questions posées au ministère, «on se sait pas trop ce qui se passe avec le plan. On est sceptique», note Jessica Côté-Guimond.

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Encore bien du travail à faire

Aux yeux du professeur Martin Goyette, il y a encore énormément de travail à faire pour diminuer le taux alarmant d’itinérance chez les ex-enfants de la DPJ.

Martin Goyette est professeur à l'ENAP et 
cotitulaire de la Chaire-réseau de recherche sur la jeunesse du Québec.

«Un plan de transition à la vie adulte, c’est un pas dans la bonne direction et c’était plus que nécessaire, mais ce n’est nettement pas suffisant, dit-il. Il faut débloquer des sommes pour eux. Il faut améliorer l’accès au logement, par exemple. En pleine crise du logement, est ce qu’il y en a, justement, des logements pour eux? Pourquoi n’ont-ils pas accès à des sommes pour se loger, comme c’est le cas dans d’autres provinces? Ils doivent avoir accès à des programmes sociaux, à des soins de santé, à l’éducation, etc.»

«Ils ont tellement été encadrés, qu’ils vivent un grand besoin de liberté et c’est normal. Il faut néanmoins leur donner les outils pour avancer. Le discours est là, mais sur le terrain, il faut des changements concrets.»

—  Martin Goyette, professeur à l'ENAP

Ailleurs au pays, ceux et celles qui quittent les services de protection de la jeunesse ont un suivi jusqu’à 25 ans.

Certains jeunes qui quittent la DPJ ont signalé un épisode d'itinérance de plus d'un mois.

«C’est bien simple, notre société ne développe pas les outils et le soutien pour que les jeunes les plus vulnérables aient accès aux mêmes chances que tous les jeunes, dit Martin Goyette. Le Québec est le parent pauvre du Canada en cette matière.»

Jessica Côté-Guimond ajoute que le sort des ex-enfants de la DPJ ne doit pas reposer que sur l’État. «C’est bien beau de dire que c’est de la faute au gouvernement, mais en tant que société, on a du travail à faire. Les propriétaires de logements, les écoles et les entreprises doivent faire de la place à ces jeunes adultes aussi, pour leur donner leur chance.»