Mécontents du financement accordé aux jeunes chercheurs

Étudiante en quatrième et dernière année au doctorat en biochimie de l’Université d’Ottawa, Sarah Laframboise a contracté une dette de plus de 100 000$.

Des centaines de scientifiques mécontents du financement accordé aux jeunes chercheurs des cycles supérieurs comptent manifester jeudi après-midi sur la colline du Parlement, à Ottawa. Leur cible? Un gouvernement qui se targue pourtant d’être leur allié.


Sarah Laframboise est endettée jusqu’au cou. L’étudiante en quatrième et dernière année au doctorat en biochimie de l’Université d’Ottawa a fait le saut récemment en regardant le prêt qu’elle devra rembourser après l’obtention de son diplôme. Plus de 100 000$.

«Ce qui est difficile, c’est si je vais pouvoir ou non faire suffisamment d’argent pour payer toute ma dette étudiante. Honnêtement, je ne suis pas convaincue», dit-elle, visiblement secouée.

Sarah Laframboise vient d’une famille modeste de Windsor dans le sud de l’Ontario. Sa mère travaille dans l’industrie automobile, son père dans la construction. Aînée de cinq enfants, Sarah est la première de sa famille à avoir un diplôme universitaire.

Après des études de premier cycle en biologie à l’Université York de Toronto, Sarah se voyait faire carrière dans un laboratoire. Elle voulait travailler avec ses mains, faire avancer la science et résoudre les plus grands défis du monde. Et surtout, elle voulait être riche. 

«Même si tu restes dans le monde académique, il n’y a pas de garantie que les chercheurs obtiendront des millions de dollars en financement. C’est un peu comme une loterie et pour bien des étudiants au doctorat, c’est un rêve irréaliste», dit-elle. 

Comme étudiante chercheuse, Sarah Laframboise ne suit pas de cours en classe, mais travaille à temps plein pour créer la recherche et la science. Elle touche environ 35 000$ par année en bourses d’organismes subventionnaires fédéraux.

Ottawa n’en fait pas assez

Or, le niveau des bourses d’excellence, qui sont versées aux meilleurs jeunes chercheurs au pays, est présentement sous le seuil de la pauvreté et n’a pas été majoré depuis 2003, selon différents groupes de scientifiques qui demandent à Ottawa de bonifier sa contribution.

«C’est assez! C’est probablement le seul salaire qui n’a pas été augmenté et c’est probablement le seul élément de toute la recherche qui n’a jamais été touché depuis pratiquement 20 ans», s’insurge le directeur de l’Institut de biologie intégrative et des Systèmes à l’Université Laval, Louis Bernatchez.

M. Bernatchez est l’un des instigateurs, avec deux chercheurs de Vancouver et Toronto, d’un mouvement de scientifiques qui demandent au fédéral d’injecter davantage d’argent dans les bourses d’excellence.

Au printemps, ils ont rassemblé environ 200 scientifiques de renom, des récipiendaires de prix Nobel et des membres de l’ordre du Canada pour dénoncer publiquement le manque de financement par l’entremise d’une lettre ouverte. Aujourd’hui, cette lettre compte désormais environ 7000 noms.  

Ils craignent qu’en n’augmentant pas le financement, le Canada perde bon nombre de chercheurs qui s’exileront pour obtenir de meilleures conditions ailleurs ou qui abandonneront carrément la recherche.

Cette lettre est adressée au premier ministre du Canada, Justin Trudeau, et au ministre de l'Innovation, de la Science et de l’Industrie, François-Philippe Champagne. 

Jeudi après-midi, Sarah Laframboise manifestera avec des centaines d’autres scientifiques de partout au pays pour tenter de convaincre le gouvernement de majorer ces bourses. Et Louis Bernatchez compte faire de même la semaine prochaine à Montréal. 

«Je pense que c’est une question de remettre les pendules à l’heure. De faire un rappel et de dire qu’il y a quelque chose dans le financement de la recherche qui est tombé dans les craques depuis 20 ans», soutient M. Bernatchez. 

Le premier ministre Justin Trudeau 

Un gouvernement «pro-science»

La démarche a de quoi surprendre puisque la dernière fois que les scientifiques se sont mobilisées de la sorte au pays, c’était en 2013, à l’époque où le gouvernement de Stephen Harper était accusé de museler les scientifiques et de réduire les fonds qui leur étaient accordés.

Le gouvernement actuel se vante depuis 2015 d’être proscience et d’investir massivement dans la recherche et l’innovation. Le premier ministre Justin Trudeau participe souvent lui-même à des événements scientifiques, notamment avec Bill Nye «The Science guy», un vulgarisateur scientifique américain. 

Ottawa affirme avoir investi plus de 14 milliards de dollars depuis 2016 pour soutenir la recherche et la science au pays, notamment en ajoutant 600 nouvelles bourses d’études supérieures du Canada.

«En tant que gouvernement, nous comprenons l’importance de la communauté de recherche et nous allons continuer de travailler avec eux pour explorer des moyens avec lesquels nous pouvons continuer de soutenir notre prochaine génération de chercheurs et nos meilleurs talents», a déclaré la porte-parole du ministre Champagne, Laurie Bouchard. 

Qui plus est, le fédéral dit avoir fait passer de 6 à 12 mois la durée du congé parental rémunéré pour ceux et celles qui reçoivent un soutien des conseils subventionnaires pour favoriser l’inclusion en science, puis avoir majoré à 45 000$ par année la valeur annuelle des bourses postdoctorales des étudiants et stagiaires.

«La question de majorer à 45 000$, c’est complètement faux. C’est une réponse fourre-tout. Le point central ici, c’est que la valeur des bourses d’excellence, est en dessous du seuil de la pauvreté et n’ont pas bougé depuis 2003», affirme M. Bernatchez.

En n’allouant pas de sommes supplémentaires aux jeunes chercheurs, le gouvernement n’améliore pas leur capacité de rembourser leurs prêts étudiants.

Sarah Laframboise a cofondé il y a deux ans le Réseau de Politique scientifique d’Ottawa pour promouvoir les voix étudiantes dans les prises de décisions de politique scientifique aux niveaux gouvernemental et universitaire.

Au Canada, environ la moitié des diplômés disaient avoir une dette d’étude en 2015, selon une étude de Statistique Canada. Un étudiant au doctorat, comme Sarah Laframboise, aura en moyenne une dette de 33 000$ à l’obtention de son diplôme au doctorat.

La situation est telle que Sarah a cofondé il y a deux ans le Réseau de Politique scientifique d’Ottawa pour promouvoir les voix étudiantes dans les prises de décisions de politique scientifique aux niveaux gouvernemental et universitaire. 

Aujourd’hui, elle ne pense plus faire carrière en laboratoire.

«Je pense que je suis devenue très engagée pour comprendre l’opinion publique en lien avec la science. Beaucoup de cela vient de mon militantisme, explique Sarah. J’aime parler de science et de ce que je fais dans le laboratoire, mais je pense que j’aime plus les politiques et aider le gouvernement à supporter la prochaine génération de scientifiques.»