Peut-on perdre Laurentienne ?
Si elle n’arrive pas à une entente préliminaire avec ses créanciers, l’Université Laurentienne pourrait mettre fin à ses activités dès le 30 avril prochain, faute de budget pour continuer ses opérations. En ce moment, on compte neuf universités en Ontario où certains programmes sont disponibles en français. Souvent, il s’agit de très petites institutions bilingues ou de petits programmes à l’intérieur de grandes institutions fortement anglophones. L’Université Laurentienne est parmi les rares universités ontariennes qui offrent une grande diversité de programmes en français. Sa fermeture réduirait d’un coup les possibilités d’études des jeunes franco-ontariens du nord de la province.
Nos collègues francophones de l’Université Laurentienne proposent des voies pour maintenir ces services en français en réclamant avec force une autonomie de gestion de leurs programmes. Même chose du côté de l’Université de Sudbury où on envisage de se séparer de l’Université Laurentienne pour devenir unilingue française. Devant le péril qui les guette, les francophones de l’Ontario s’organisent pour protéger leurs institutions comme ils l’ont fait si souvent par le passé. Ils ne pourront cependant pas gagner ce combat seul, et pour bien les appuyer il faut comprendre ce qui a mené au problème actuel – qui concerne tout le secteur universitaire ontarien.
Les choix du gouvernement
Quand une organisation publique ou privée rencontre de graves problèmes financiers, on est prompt à pointer du doigt l’irresponsabilité de sa direction et les mauvaises décisions budgétaires prises dans les années récentes. Dans le cas de l’Université Laurentienne, il est bien possible qu’une mauvaise gestion et des pratiques peu collégiales aient contribué à mener à la situation actuelle. Cependant, nous devons pointer du doigt une autre cause du malheur de cette université : les choix du gouvernement de l’Ontario en matière d’éducation postsecondaire. Il nous semble qu’il y a là une responsabilité à ne pas négliger.
Rappelons d’abord que l’Ontario est la province canadienne qui verse le moins d’argent public par étudiant postsecondaire, préférant que ses universités fassent davantage recours pour assurer leur financement aux frais de scolarité et aux dons privés. Pour Laurentienne, qui a le mandat de desservir les communautés francophones, autochtones et LGBTQ, on comprend que ce modèle de financement n’est pas avantageux. Il l’est d’autant moins depuis que le gouvernement Ford a imposé une diminution des frais de scolarité de 10 % sans augmenter de manière compensatoire les versements de fonds publics, appauvrissant ainsi les universités les moins solides financièrement.
Dans le cas précis de la crise à l’Université Laurentienne, le gouvernement Ford a aussi fait ses choix. D’abord, de l’aveu même du ministre de l’Éducation supérieure, Ross Romano, le gouvernement était au courant depuis un certain temps de la situation financière périlleuse de l’université, mais n’a rien fait pour l’aider. Pis encore, et c’est un désaveu flagrant de l’enseignement supérieur en français en Ontario, le gouvernement Ford a tout récemment annoncé une aide spéciale de 106 M$ aux universités pour leur permettre de faire face à la pandémie. Or, sans justification et malgré le fait qu’elle était dans la pire situation financière imaginable, l’Université Laurentienne a été exclue de cette aide.
La bataille pour sauver l’Université Laurentienne ne sera pas simple. Les francophones de l’Ontario devront à nouveau se montrer résilients, et se mobiliser férocement pour protéger cette institution. Une fois de plus, ils ne pourront pas compter le gouvernement provincial parmi leurs alliés… bien au contraire.
Sophie Bourgault, professeure, Université d’Ottawa
Stéphanie Gaudet, professeure, Université d’Ottawa
Dalie Giroux, professeure, Université d’Ottawa
Monique Lanoix, professeure, Université Saint-Paul
Robert Sparling, professeur, Université d’Ottawa
Stephen Stuart, professeur, Université Saint-Paul
Simon Tremblay-Pepin, professeur, Université Saint-Paul