La crise de la toxicomanie et de l’itinérance à Ottawa: repenser les approches

La crise de la toxicomanie et de l’itinérance à Ottawa révèle des symptômes alarmants d’une maladie sociale plus profonde.

POINT DE VUE / La crise de la toxicomanie et de l’itinérance à Ottawa s’est aggravée en raison de multiples facteurs, notamment la pandémie et la pénurie de logements.


Elle révèle des symptômes alarmants d’une maladie sociale plus profonde: le manque de reconnaissance sociale pour certains des membres les plus vulnérables de la société. Selon le philosophe allemand Axel Honneth, la reconnaissance sociale n’est pas un luxe, mais une nécessité pour l’épanouissement de l’individu. Elle fonctionne sur plusieurs niveaux: affectif, légal et social. Lorsque cette reconnaissance est absente, elle peut engendrer diverses formes de mal-être social, allant de la dépression à des comportements autodestructeurs tels que la toxicomanie.

La crise de la toxicomanie et de l’itinérance à Ottawa n’est pas un problème isolé mais le symptôme d’une carence sociale plus vaste en reconnaissance et en intégration psychosociale.

Le besoin de reconnaissance sociale: une lenteur pour comprendre la crise à Ottawa

Dans le cas d’Ottawa, le manque de reconnaissance se manifeste de manière aiguë dans les communautés marginalisées. La toxicomanie et l’itinérance ne sont pas seulement des problèmes individuels mais plutôt des symptômes collectifs de l’exclusion. Les personnes touchées par ces conditions sont souvent piégées dans un cercle vicieux où la stigmatisation sociale et le manque de reconnaissance exacerbent leur vulnérabilité, les poussant plus loin dans la dépendance et l’isolement.

Il est possible de voir la dépendance à des substances comme une réponse adaptative à cette exclusion. Elle représente une tentative, bien que malavisée, de trouver un certain degré de confort ou d’appartenance dans un milieu qui autrement, en est dépourvu. C’est une quête désespérée de reconnaissance, un moyen de gérer la douleur de l’isolement et de l’invisibilité sociale.

Des penseurs comme Erikson et Taylor étendent cette perspective en soulignant que la quête de reconnaissance est non seulement sociale mais aussi psychologique. Erikson, par exemple, évoque les différentes étapes de développement psychosocial auxquelles chaque individu doit faire face. Le manque de reconnaissance à l’une de ces étapes peut avoir des effets dommageables à long terme sur le bien-être psychologique de l’individu. Taylor, de son côté, parle de l’importance de l’intégration psychosociale, où la reconnaissance par les autres contribue à une “identité authentique”.

La crise de la toxicomanie et de l’itinérance à Ottawa n’est pas un problème isolé mais le symptôme d’une carence sociale plus vaste en reconnaissance et en intégration psychosociale. En comprenant cette crise à travers la lentille de la reconnaissance, il est possible d’identifier des solutions plus humaines et efficaces qui vont au-delà du traitement symptomatique, pour adresser les racines profondes de la marginalisation. Il est temps de repenser nos modèles d’intervention de manière à valoriser chaque individu non comme un problème à éradiquer, mais comme un membre de la société en quête de reconnaissance et d’intégration.

À Ottawa, et dans les autres grandes villes canadiennes, l’exclusion sociale manifestée par la stigmatisation des toxicomanes et des sans-abri entrave leur accès à cette reconnaissance fondamentale. La tendance à traiter la toxicomanie comme un crime plutôt qu’un problème social est particulièrement problématique. Ce paradigme punitif aggrave le cycle de non-reconnaissance et de stigmatisation.

Dans la gestion de la crise de la toxicomanie et de l’itinérance à Ottawa, le travail social peut être un acteur clé pour traiter le problème du manque de reconnaissance sociale et d’intégration psychosociale.

Stratégies et rôle du travail social dans la gestion de la crise à Ottawa

Investir dans le travail social, c’est investir dans des solutions à long terme plutôt que des correctifs à court terme. Il permet une intervention précoce qui peut empêcher l’escalade des problèmes, réduisant ainsi le coût global pour les systèmes de santé, judiciaires et sociaux. Dans un contexte où le manque de reconnaissance sociale peut conduire à des formes sévères de mal-être et d’exclusion, les programmes de travail social peuvent offrir la reconnaissance et l’intégration psychosociale nécessaires pour réhabiliter des vies et, par extension, améliorer la cohésion sociale et le bien-être général de la communauté.

Le travail social peut servir de pont entre les individus marginalisés et les institutions publiques, fournissant à la fois un soutien pratique et émotionnel. Dans la gestion de la crise de la toxicomanie et de l’itinérance à Ottawa, le travail social peut être un acteur clé pour traiter le problème du manque de reconnaissance sociale et d’intégration psychosociale. En allant au-delà de la simple gestion des symptômes pour aborder les causes profondes de la marginalisation, en créant des espaces de reconnaissance et en facilitant l’accès aux services, le travail social peut jouer un rôle significatif dans la réhabilitation des individus et dans la construction d’une société plus inclusive.

La dimension politique de la reconnaissance: pour une gestion humaniste de la crise

L’importance de la reconnaissance sociale dans la gestion de la crise de la toxicomanie et de l’itinérance à Ottawa soulève inévitablement des questions sur la dimension politique de cette reconnaissance. Ainsi, la gestion de cette crise ne peut être effective sans une réorientation politique qui mette l’accent sur les droits fondamentaux des individus, tels que l’accès à un logement digne et à un revenu minimum assuré.

En offrant immédiatement un logement stable aux personnes sans-abri, sans condition préalable liée à la sobriété ou à l’emploi, selon le principe de “logement d’abord” (Housing First), cette approche élimine l’une des barrières principales à la reconnaissance sociale et à l’intégration. Le logement n’est pas seulement une structure physique; il est un espace de dignité et d’appartenance, essentiel à l’actualisation de soi.

De plus, la mise en place d’un revenu minimum assuré et digne va dans le même sens. Ce mécanisme offre non seulement un filet de sécurité financier mais aussi une reconnaissance de la valeur inhérente de chaque individu, indépendamment de son statut économique ou social. La garantie d’un revenu minimum est une reconnaissance politique de l’importance de chaque citoyen et un outil puissant pour réduire les inégalités.

Ces deux exemples – le logement et le revenu minimum – illustrent comment une politique de reconnaissance peut se traduire en actions concrètes, agissant comme un antidote aux formes d’exclusion et de marginalisation. Une telle politique reconnaît les individus comme des agents sociaux dignes de respect et d’attention, plutôt que comme des problèmes à résoudre ou des coûts à minimiser. Il ne suffit pas d’offrir des services sociaux et de santé; il faut également créer un environnement sociopolitique qui favorise la reconnaissance et l’intégration psychosociale, constituant ainsi une stratégie globale et humaniste pour la gestion de cette crise.

La situation à Ottawa reflète un échec profond de la reconnaissance sociale et de l’intégration. Une stratégie coordonnée et humaniste est nécessaire. Le changement doit être piloté par une compréhension profonde que la toxicomanie et l’itinérance sont des symptômes d’un échec sociétal à fournir la reconnaissance et l’intégration nécessaires à tous ses membres.

Lilian Negura, professeur de travail social à l’Université d’Ottawa.