« Héréditaire. L’éternel retour des théories biologiques du crime », de Julien Larregue, Seuil, « Liber », 272 p., 23 €, numérique 17 €.
Pour qui s’intéresse à l’histoire des sciences sociales et à leur place dans les sociétés modernes, peu de sujets sont aussi passionnants que celui du crime. Peut-on seulement l’expliquer ? Trouver des raisons à ce qui a tout l’air d’une exception dans le cours des vies de ceux qui le commettent ou le subissent ?
La survenue du crime n’est que l’envers de la production des normes dans une société
Pour autant, comme le montre le livre important de Julien Larregue, Héréditaire, les sciences sociales ne furent pas les seules à s’y essayer, et ferraillèrent souvent avec d’autres disciplines. Contre les économistes utilitaristes, qui voyaient partout la maximisation du bien-être et les arbitrages des individus entre le coût possible et les bénéfices espérés du crime, les sociologues élaborèrent ainsi des conceptions plus socialisées de l’individu et affirmèrent que la survenue du crime n’est que l’envers de la production des normes dans une société.
Contre les biologistes, les médecins et les premiers « criminologues », l’affaire fut à la fois plus compliquée et plus simple. Dès le début du XIXe siècle, avec la phrénologie du neurologue allemand Franz Joseph Gall (1758-1828), mais surtout, au XXe siècle, avec la théorie du « criminel né » du médecin légiste italien Cesare Lombroso (1835-1909), les thèses sociologiques selon lesquelles le crime s’expliquait en grande partie par le « milieu » du criminel furent contestées au nom de la prééminence de l’hérédité et de l’existence supposée de types humains régressifs. Ce débat résonnait avec le développement des idéologies racistes. Il fallut donc, pour les tenants des sciences sociales, se battre à contre-courant de l’époque. L’utilisation de ces théories par les régimes fascistes et nazi les disqualifia heureusement après la seconde guerre mondiale.
Grâce à l’enquête menée par Julien Larregue aux Etats-Unis auprès de ceux qui se revendiquent depuis les années 1960 d’une nouvelle criminologie « biosociale », il apparaît que la disqualification fut de courte durée. En s’intéressant au développement de cette discipline dans les universités américaines, Larregue note la perte d’influence progressive des sociologues dans l’enseignement et la recherche sur le crime, ainsi que la progression des enseignements et des publications relevant de méthodes issues de la biologie.
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