Chronique|

Vaccins, menstruations et «biais pro-mâle»

SCIENCE AU QUOTIDIEN / «Beaucoup de jeunes filles, dont deux des miennes, se demandent si le vaccin peut nuire à leur fertilité. Une de mes filles s’est même fait dire par quelqu'un qui travaille dans un laboratoire que le vaccin n’a été testé que sur des souris mâles. En outre, beaucoup de jeunes femmes qui se sont fait vacciner ont eu des problèmes menstruels par la suite — crampes, menstruations abondantes, etc. Alors pourrait-on avoir l’heure juste là-dessus, car je connais quelques filles qui refusent de se faire vacciner, de crainte de devenir infertiles ou d’avoir des enfants handicapés», demande Paule Bluteau, de Québec.


C’est effectivement un bruit qui court depuis des mois sur les réseaux sociaux, mais il n’est pas basé sur grand-chose. D’ailleurs, c’est à tort que l’on croit que les vaccins anti-COVID n’ont été testés que sur des souris mâles.

Les tests que l’on mène avant d’autoriser la distribution d’un vaccin se déroulent essentiellement en deux temps : il y a d’abord les essais dits «précliniques» sur des animaux, puis suivent les essais cliniques sur des humains. Dans le cas des vaccins contre la COVID, il y a bel et bien des tests précliniques ont été faits sur des rongeurs incluant des femelles, ce dont on peut se convaincre en consultant notamment ce document de l’Agence européenne du médicament sur le vaccin de Pfizer (voir entre autres p. 43 et 46), et cet autre document sur le vaccin de Moderna (voir ligne 110). En outre, des tests ont été faits spécifiquement au sujet de la fertilité féminine et du développement du fœtus, comme en fait foi cette étude parue en mai dans la revue savante Reproductive Toxicology.

En plus des souris, des essais précliniques ont également été faits sur des macaques, incluant encore une fois des femelles (voir ici, notamment).

Mais par-dessus tout, ces vaccins ont aussi fait l’objet de plusieurs essais cliniques sur des humains, en phase 1 et 2 (petits essais pour tester la sécurité et l’efficacité) et en phase 3 (plus gros essais pour faire la preuve finale avant de demander la mise en marché). Des dizaines de milliers de femmes, littéralement, ont participé à ces essais cliniques, réparties moitié-moitié entre les groupes placebo et les «groupes vaccin» : en ce qui concerne les quatre vaccins autorisés jusqu’à maintenant au Canada, on parle de 18 600 femmes pour Pfizer, 14 300 pour Moderna, 19 700 pour Janssen et plus de 11 000 pour AztraZeneca.

Cela dit, rien de tout cela ne signifie qu’absolument toutes les études ont été menées sur autant d’hommes/mâles que de femmes/femelles — on aurait même clairement tort de le prétendre. Par exemple, quand est venu le temps de tester son vaccin sur des macaques, Pfizer n’a utilisé que des mâles. Et de manière plus générale, les milieux de la recherche semblent avoir un biais systématique en faveur des mâles, biais qui dépasse largement les vaccins et qui a été mis au jour il y a quelques semaines dans Translational Physiology : parmi les études sur le récepteur cellulaire ACE2, auquel le virus de la COVID s’accroche, celles qui mentionnaient le sexe de leurs modèles animaux avaient majoritairement (près de 70%) utilisé uniquement des mâles, contre 11 % qui n’avaient étudié que des femelles. Il y a donc un «biais pro-mâle» qui existe en recherche médicale, pas seulement au sujet de la COVID mais plus généralement que ça, et de nombreuses voix le dénoncent parce que c’est en plein le genre d’angle mort qui peut nous faire manquer des choses importantes. Mais en ce qui concerne la question que m’envoie Mme Buteau, cela ne change pas grand-chose : l’idée voulant que les vaccins contre la COVID-19 n’aient été testés que sur des souris mâles est manifestement et totalement fausse.

Les essais qui ont été faits sur ces vaccins n’ont par ailleurs rien trouvé qui permette de croire que la fertilité des femmes puisse être compromise de quelque manière que ce soit, et d’autres travaux plus ciblés ont suivi par la suite, notamment une étude parue dans le New England Journal of Medicine en juin sur 35 000 femmes enceintes, qui n’a elle non plus détecté aucun problème particulier.
Bref, ce n’est pas pour rien que des organisations scientifiques et médicales recommandent aux femmes de se faire vacciner, même lorsque elles sont enceintes. «Il n’y a absolument aucune preuve ni raison théorique de soupçonner que le vaccin contre la COVID-19 peut nuire à la fertilité des hommes ou des femmes. Ces rumeurs sont nuisibles et sans fondement», indiquait en mars dernier la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC). Cette même SOGC appuie également la vaccination des femmes enceintes.

Maintenant, la question des menstruations n’a pas été aussi bien étudiée que la fertilité. Il y a eu un grand nombre de témoignages sur les réseaux sociaux de femmes qui disaient que leur cycle avait été chamboulé après avoir reçu l’un ou l’autre des vaccins contre la COVID-19, mais jusqu’à présent aucune étude n’a documenté la question de manière scientifique, lisait-on récemment sur le «blogue sur la santé des femmes» de l’Université de Colombie-Britannique. On peut certainement penser, déploraient les trois auteures du texte, que ce «trou» dans la littérature soit un effet de ce fameux «biais pro-mâle» dont je parlais plus haut.

Mais quoi qu’il en soit, il est tout à fait possible que le vaccin ait un effet sur les règles, puisque le cycle menstruel est connu pour être relativement facile à déranger. Le stress, les changements d’habitudes de vie, les infections bactériennes ou virales, et bien d’autres facteurs encore peuvent affecter les menstruations. Alors même si cela reste à prouver, il n’y a rien de déraisonnable à imaginer qu’un vaccin le pourrait aussi.

Dans tous les cas, cependant, l’essentiel est qu’on n’a pour l’instant aucune raison de croire que ces dérèglements sont autre chose que bénins et très temporaires.

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