Guerre en Ukraine : seul un fléchissement des prix du pétrole pourra faire basculer Moscou

«Seule une baisse substantielle de ses revenus pétroliers, à la suite d’une chute significative et de longue durée des prix du pétrole, pourra vraiment faire fléchir Vladimir Poutine», écrit Yvan Cliche.

POINT DE VUE / Pour marquer les deux ans de l’invasion russe en Ukraine, Washington et d’autres pays occidentaux, dont le Canada, ont annoncé une nouvelle série de sanctions contre le régime russe vendredi dernier.


Toutefois, plusieurs analystes déplorent que les sanctions prises depuis deux ans n’aient pas vraiment permis de faire bouger les lignes du conflit entre la Russie et l’Ukraine. Sur le terrain, ce sont les armes qui ont parlé bien davantage que des mesures punitives de nature économique.

Le régime russe dépend à plus de 40 % du pétrole et du gaz pour ses recettes budgétaires. Seule une baisse substantielle de ses revenus pétroliers, à la suite d’une chute significative et de longue durée des prix du pétrole, pourra vraiment faire fléchir Vladimir Poutine.

Un pétrole indispensable pour Moscou

L’importance des revenus pétroliers pour la survie du régime à Moscou a amplement été démontrée dans les années 1980.

Durant les années 1970, l’embargo des pays arabes sur le pétrole à la suite de la guerre du Yom Kippour de 1973 et du renversement du régime du Chah en Iran en 1979 ont contribué à une explosion des prix du pétrole.

Cette hausse a causé un fort ralentissement de l’économie mondiale. Mais les pays producteurs de pétrole de l’époque, avides de revenus, ont continué, malgré cela, à placer leurs barils sur le marché.

En 1986, l’Arabie saoudite, irritée de l’indiscipline des pays producteurs, a sifflé la fin de la récréation. Elle a inondé le marché de son pétrole pour diminuer les prix et ainsi amener les autres producteurs à respecter leur quota de production. La manœuvre a réussi : le prix du baril a fondu de 30$ à 10$, et le marché s’est stabilisé.

Mais pour Moscou, ce fut le coup de matraque. En quelques années, le régime de l’Union soviétique, en place depuis 1917, a vu ses revenus pétroliers fondre comme neige au soleil. Cinq ans plus tard, en 1991, le régime soviétique s’effondrait.

Du gaz américain en Europe

Toujours très dépendante de ses exportations d’énergies fossiles en 2022, la Russie fournissait 40 % du gaz utilisé en Europe. Dès le début de l’invasion russe en Ukraine, elle a cherché à se servir de cette dépendance énergétique pour faire avaler aux Européens son invasion de l’Ukraine. Malgré l’interruption de ses livraisons à certains pays, l’Europe ne flanche pas et maintient son soutien à l’Ukraine. Deux hivers doux d’affilée contribuent à faire échouer la manœuvre du régime moscovite.

Moscou a ainsi perdu son principal marché d’exportation de gaz. Paradoxalement, elle a offert sur un plateau d’argent l’approvisionnement gazier du continent à son principal adversaire, les États-Unis. Les Américains ont, en effet, fortement augmenté leurs livraisons de gaz liquéfié en Europe depuis deux ans.

Pour maintenir leurs ventes qui servent à garnir les coffres nationaux, les Russes se sont tournés vers l’Asie. La Chine et l’Inde achètent dorénavant, à eux seuls, 90% du pétrole russe.

L’effet des sanctions

Or, les producteurs russes se sont retrouvés en position de faiblesse. Les sanctions ont donné aux importateurs un effet de levier dans leurs achats de pétrole russe. Les acheteurs asiatiques savent très bien que les producteurs russes disposent de moins d’alternatives pour vendre leur or noir, et ils ont pu obtenir des rabais.

Il est difficile de déterminer l’ampleur de ces rabais. Les firmes russes utilisent diverses manœuvres pour échapper autant que possible aux sanctions, notamment avec des bateaux «fantômes» circulant sur les mers, pour éviter toute forme de surveillance des autorités.

Plusieurs estiment ces rabais à environ 10 % à 15% du prix pratiqué par d’autres fournisseurs, ce qui constitue tout de même un manque à gagner important dans les coffres de la Russie.

Le régime russe n’a certes pas plié face aux sanctions. Au contraire, les prix élevés du pétrole lui ont permis jusqu’ici de soutenir sa machine de guerre.

Sur le plan énergétique, ses manœuvres infructueuses contre l’Europe ainsi que les mesures de rétorsion prises depuis deux ans, ont nettement affaibli son positionnement sur le marché mondial de l’énergie.

Yvan Cliche, spécialiste en énergie et fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM)