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Retravailler après un cancer

Elyane Vignau
Publié le 24/08/2011 à 11:10 Modifié le 01/02/2019 à 13:20
Retravailler après un cancer

Une fois le cancer enrayé, les traitements terminés, la vie peut reprendre son cours… L’après-cancer est ainsi le temps, pour 8 salariés sur 10, du retour au travail. Une reprise souvent souhaitée, attendue, mais qui ne se passe pas toujours aussi bien qu’espérée. Car si l’environnement professionnel a changé, le patient également n’est plus tout à fait le même. Explications et conseils pour préparer en douceur son retour dans le monde professionnel.

« Le jour où je retournerai au bureau… Je me disais, j’en aurai fini avec tout ça » Pour beaucoup de patients, retourner au travail une fois les traitements terminés est le signe qu’une page se tourne. Avec l’espoir que le cancer est bel et bien derrière eux et que la vie peut reprendre son cours « normal ».

Le retour au travail, enjeu clé de l’après-cancer

Effectivement, le retour professionnel est un cap important dans le processus de reconstruction, dans ce temps de « l’après » qui s’avère toujours délicat. Car pour le patient, tout tourne autour d’une seule et même question : suis-je guéri ? C’est la période, aussi, où encore fatigué par les traitements, celui-ci doit apprendre à vivre avec, comme épée de Damoclès, le risque d’une récidive… Une éventualité qui l’empêche parfois de se tourner vers l’avenir et de se sentir bien. C’est d’ailleurs souvent dans ces mois de transition que surviennent de graves épisodes de dépression.

Pour aller plus loin

Sur le sujet, consultez aussi notre article : Se sentir enfin guéri

C’est pourtant dans ce contexte personnel difficile que les salariés vont la plupart du temps reprendre le chemin du bureau. Si eux sont anxieux et éprouvés par l’épreuve qu’ils viennent de traverser, l’entreprise, quant à elle, n’est pas toujours bien préparée à les accueillir. Résultat : si 8 salariés sur 10 retravaillent après un cancer, la moitié d’entre eux disent rencontrer des difficultés.*

Après s’être battus pour leur vie, l’aspect professionnel ne passe-t-il pas au second plan, pourront se demander certains ? Non, répond Monique Sevellec, psychosociologue à l’Institut Curie, pour qui le retour au travail est doublement important pour le patient : « C’est un enjeu fondamental car le travail donne une place sociale. Or avoir une place, c’est être quelqu’un. » Ce qui est d’autant plus capital quand on sort du statut de « malade » et que l’on peine à « se retrouver ».

 

Pour aller plus loin

Ces chiffres sont tirés de « Répercussions du cancer sur la vie professionnelle » : étude réalisée auprès de 402 salariés en Ile de France », M.Sevellec, MF Bourillon, S. Le Bideau, H. Stakowski, N/ Le Peltier, E.Morvan, L. Belin, B. Asselain.

Le risque de la dévalorisation

Pour les salariés, l’un des premiers écueils consiste à croire que le retour au travail sera synonyme d’un « retour à la normale », exactement « comme avant ». Pourquoi ? Déjà parce que eux-mêmes ont changé. La maladie, les traitements ont laissé des traces. Dans la même enquête de l’Institut Curie, 61% des salariés se déclarent plus fatigables qu’avant, 33% reconnaissent des troubles de la mémoire ou de la concentration. Sans oublier les douleurs chroniques ou les problèmes psy (troubles du sommeil, dépression…) que certains peuvent alors connaître. Résultat : ils risquent se sentir diminués, déchus, notamment quand, comme beaucoup de cadres, ils aspiraient à retrouver très vite leur ancien poste. « Le problème, c’est qu’on va leur demander d’accomplir la même quantité de travail qu’avant, comme si de rien n’était, résume le Dr Bernard Asselain, chef de service à l’Institut Curie. Mais avec la fatigue, l’anxiété, ils ne peuvent plus l’assurer, malgré leurs efforts. Résultat : cela va générer encore plus de fatigue et d’anxiété. C’est un cercle vicieux. »

Le risque : entraîner le salarié dans une spirale dévalorisante. Justement parce que le retour au travail va le remettre à l’endroit précis où il était avant et que cela va attirer son attention sur ce qui a changé en lui. Notamment une éventuelle diminution de ses capacités.

Appel à témoins

Pour aller plus loin

Vous avez traversé l’épreuve d’un cancer et vous vous apprêtez à reprendre une activité professionnelle ? L’un de vos collègues, de vos proches est concerné ?
Nous vous proposons de venir partager vos interrogations ou vos inquiétudes ici sur notre page Facebook. L’équipe « Cancer & Travail : Agir ensemble » vous répondra sur Psychologies.com, pour vous aider au mieux dans cette étape importante.

Un travail psychique au long cours

Cette prise de conscience peut ainsi provoquer un profond sentiment de destitution identitaire. « Le cancer crée une rupture dans notre continuité de vie, poursuit Monique Sevellec. Il y a toujours un avant et un après. Cela entraîne une perte de repères. Les patients n’ont, par exemple, plus la même façon de réagir dans la vie. Souvent, d’ailleurs, ils disent qu’ils ne se reconnaissent plus. Pour se retrouver, pour savoir qui ils sont à nouveau, il va leur falloir mener un travail d’élaboration psychique qui demande du temps. Or le temps psychique n’est pas le temps chronologique. Il y a des avancées, des retours en arrière. » Autant de questionnements et d’incertitudes qui s’accommodent mal des impératifs et du rythme du travail en entreprise.

Pour d’autres, la difficulté est ailleurs : la rupture dans leur vie a été telle qu’ils ne se voient plus occuper le même poste. Certains reviennent alors avec, au fond d’eux, le désir de faire évoluer leur emploi vers une mission dans laquelle ils se retrouveront davantage, y compris avec moins de capacités. Mais là encore, rares sont les entreprises qui peuvent accompagner ce changement de priorités, ce besoin d’une autre vie.

Des entreprises peu préparées à accueillir les anciens patients

Les sociétés ont, bien entendu, leur part de responsabilité dans le succès ou non de cette reprise professionnelle. Un rôle que certaines entreprises assument parfois mal… Voire pas du tout. Dans l’enquête de l’Institut Curie, un salarié sur cinq dit avoir été pénalisé à son retour. Refus de promotion, rétrogradation, « mise au placard »… les motifs de conflit sont malheureusement nombreux. Et les conséquences, pour des travailleurs déjà éprouvés par la maladie, souvent considérables.

Pourtant, dans la majorité des cas, il semble simplement que les entreprises françaises soient mal préparées à accueillir les salariés après un cancer. La comparaison avec d’autres pays comme l’Allemagne le montre : le patient revient souvent sans que la médecine du travail ait eu de contacts avec l’équipe soignante. Résultat ? Le médecin du travail ignore tout de la maladie et de l’état du salarié à son retour. Et le travailleur, de son côté, revient sans avoir été informé des changements qu’a connus son environnement professionnel. Sans même savoir si des aménagements sont possibles sur son poste.

Les professions libérales les plus à risques

Pour aller plus loin

Pour elles, les conséquences du cancer et des traitements peuvent s’avérer bien plus graves. Si la plupart tente de poursuivre leur activité professionnelle, d’autres sont obligés d’arrêter de travailler. Pour les artisans ou les entrepreneurs individuels, cela signifie souvent la cessation d’activité… Et la perte de leur clientèle. Une situation d’autant plus inquiétante que nombre de libéraux sont très mal assurés contre ce genre de risques. Ils se retrouvent alors dans une condition très précaire, sans pouvoir être accompagnés – notamment par les services d’assitance aux chômeurs – dans la relance de leur activité ou leurs tentatives pour « rebondir ».

Retravailler avec « les autres »

Ce manque de communication est d’autant plus préjudiciable que l’absence du patient a été longue. Bruno Asselain a ainsi pu constater dans son étude que « si l’absence dépasse un an (ce qui représente un quart des cas et bien plus pour le cancer du sein), les problèmes au retour du salarié sont plus graves. Il y a eu des remplacements, le collectif de travail a changé… Souvent c’est tout le milieu professionnel qui a évolué. » De quoi déstabiliser le salarié à son retour, mais aussi tout le travail de l’équipe.

Autre écueil de taille : le facteur humain. Pour le patient, en effet, les difficultés viennent en grande partie du regard des autres. « De deux choses l’une, soit les collègues veulent accueillir exactement la même personne qu’avant – ce qui est impossible -, soit ils ne veulent justement plus la voir ou la côtoyer comme avant parce que cette personne leur fait maintenant peur », indique Monique Sevellec. Mais ce qui est sûr, dans un cas comme dans l’autre, c’est que « l’environnement professionnel n’a pas idée de ce que vit le patient. » De quoi créer des décalages, des malentendus, et de manière générale, des ambiances de travail peu sereines.

Premier conseil : anticiper le retour

Comment alors éviter ces écueils ? Faire en sorte que ce retour au bureau se fasse le plus paisiblement possible ? D’après les spécialistes, il est indispensable d’inciter le patient à anticiper très tôt sa reprise professionnelle. Dès les traitements si possible, même si cela s’avère difficile tant le patient est, à ce moment-là, absorbé par la maladie et les soins. Tant il peine à se projeter « jusque-là ».

Pourtant, réfléchir dès lors au moment où il souhaitera retravailler, commencer à penser aux personnes à prévenir, aux démarches à mettre en œuvre… Voilà qui peut l’aider à aller de l’avant et se tourner vers l’avenir. S’il se sent perdu, il existe des services à vocation sociale dans les hôpitaux et les unités spécialisées qui peuvent répondre à ses questions.

Demander une visite de pré-reprise

Un peu plus tard, il sera temps, également, de prendre rendez-vous avec la médecine du travail pour la « visite de pré-reprise ». Un rendez-vous capital, pour Bernard Asselain : « Cette visite, c’est la possibilité offerte au salarié de discuter avec l’entreprise des semaines avant son retour effectif. Malheureusement méconnue, elle n’est utilisée que dans moins d’un quart des cas ». Pourtant, cette visite est l’occasion pour le salarié de poser toutes les questions sur son poste, son absence, d’aborder les modalités de son retour et d’envisager avec le médecin du travail un éventuel aménagement de poste. Monique Sevellec reconnaît qu’elle est le meilleur moyen d’apaiser les craintes du salarié : « Il est important pour lui de mettre en mots ces craintes pour pouvoir établir un accompagnement personnalisé avec le médecin du travail. En la matière, il n’y a pas de règles générales, tout dépend d’où en est la personne sur le plan physique, sur le plan psychologique. L’environnement de travail a-t-il changé ? Y a-t-il de nouveaux logiciels ? Des sessions de formation sont-elles prévues ? » Autant de questions auxquelles il sera possible d’apporter une réponse en amont, bien avant le jour J.

Garder le contact avec les collègues

Enfin pour Monique Sevellec, le salarié doit aussi être incité à être acteur de son retour. Comment ? En ne laissant pas ses liens avec son service ou ses collègues trop se distendre. « Bien sûr, avec les traitements et la maladie, il n’a pas forcément envie de se rendre au pot de départ d’un collègue. Pourtant, il est important qu’il garde ou reprenne contact avant son retour. Le patient doute alors de tout : de ses possibilités, de ses capacités de concentration. Il peut donc être rassurant pour lui d’apprendre ce qu’il s’est passé dans son environnement de travail pendant son absence ». Des grands changements aux petites anecdotes de bureau, c’est une manière douce de préparer son retour, en reprenant peu à peu ses marques vis-à-vis de ses collègues. Avant de reprendre son poste, pour de bon.

Pour aller plus loin

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