Réemploi et suprarecyclage

Entre la réduction du gaspillage alimentaire et le recyclage des matières organiques par biométhanisation ou compostage, d’autres options existent pour gérer nos résidus alimentaires.

Cette page vous propose un survol des différentes stratégies de réemploi ainsi que le portrait d’une industrie en plein essor : l’élevage d’insectes comestibles.

La hiérarchie des 3R dans le secteur bioalimentaire

Dans le secteur bioalimentaire, le réemploi se décline de 3 façons :

  • Nourrir des gens
  • Nourrir des animaux
  • Créer des produits non alimentaires à valeur ajoutée

Nourrir des gens

Le réemploi en alimentation humaine consiste à maintenir dans les circuits pour l’alimentation humaine, directement ou suivant une étape de transformation préalable (ex. : déshydratation, broyage, etc.), les aliments destinés à l’alimentation humaine qui seraient autrement en surplus, perdus ou gaspillés.

Par exemple, le don de surplus alimentaires pour leur redistribution à des personnes en situation d’insécurité alimentaire permet de nourrir des gens directement. La transformation de sous-produits pour produire de nouveaux produits alimentaires s’inscrit aussi dans ce niveau de la hiérarchie des 3R.

Les possibilités sont infinies! À titre d’exemple, on n’a qu’à penser aux sauces ou aux jus de fruits et légumes faits d’aliments en surplus, à une eau-de-vie produite à partir de petit-lait, à la farine issue de drêches de brasserie ou à un substitut de café fabriqué à partir de noyaux de dattes torréfiés.

Nourrir des animaux

Selon l’Étude de quantification des pertes et gaspillage alimentaires au Québec (PDF, 3.6 Mo), ce sont environ 19 % des résidus alimentaires du système bioalimentaire qui auraient été envoyés en alimentation animale en 2019, soit environ 587 000 tonnes. Il s’agit d’une approche bien implantée dans les secteurs de la transformation et de la fabrication alimentaires.

Créer des produits non alimentaires à valeur ajoutée

Cette approche, aussi nommée suprarecyclage, consiste à créer de la valeur à partir de résidus alimentaires, idéalement des parties non comestibles. Par exemple, il peut s’agir de produire un nouveau textile à partir de résidus de pommes, de commercialiser un savon produit à partir d’huile à friture ou de créer une crème exfoliante qui intègre des noyaux d’abricots broyés.

Des résidus qui auraient causé des coûts de gestion pour être compostés ou enfouis deviennent alors une source de revenus.

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L’élevage d’insecte, une industrie en plein envol

Le réemploi des résidus alimentaires en production animale est déjà une pratique largement répandue dans l’industrie de la transformation alimentaire.  Un nouvel élevage a toutefois fait son apparition au Québec dans les dernières années, soit celui de la production d’insectes comestibles.

À l’instar des autres élevages animaux, celui des insectes permet de recycler, avec un gain de valeur, les nutriments des résidus alimentaires en les réintroduisant dans la chaîne alimentaire.

Cette approche de réemploi des résidus alimentaires est avantageuse par rapport à la production de compost et de digestat (la fraction solide issue de la biométhanisation) parce qu‘elle permet de nourrir des animaux, qui pourront à leur tour nourrir d’autres animaux ou des gens.

Dans le cas où les insectes ne seraient pas utilisés directement pour l’alimentation, certains élevages pourraient plutôt servir pour la production de composés pharmaceutiques ou industriels.  Par exemple, ils peuvent fournir des enzymes pour l’industrie pharmaceutique ou encore de la chitine (la substance organique souple et résistante des insectes) pour la production de bioplastiques.

Pourquoi élever des insectes?

Le saviez-vous?Le terme scientifique pour désigner l’élevage des insectes à partir des résidus organiques est l’entotechnologie.

Les insectes sont à la base du fonctionnement de nombreux écosystèmes terrestres et aquatiques : ce sont les animaux les plus nombreux et les plus diversifiés sur terre. Ils jouent un rôle essentiel au recyclage naturel des nutriments et entrent dans la diète de nombreux animaux.

En Amérique du Nord, l’intégration d’insectes dans l’alimentation humaine n’est pas encore une pratique courante. Pourtant, on recensait en 2012 plus de 2000 espèces d’insectes consommés dans 113 pays. On estime même que les insectes feraient partie de la diète traditionnelle de plus du quart de la population mondiale!

Dans une optique d’économie circulaire où les déchets de l’un deviennent les ressources du suivant et où l’on tente de façonner nos villes de façon plus durable en s’inspirant des écosystèmes naturels, l’utilisation des insectes devient donc un incontournable.

Découvrez ci-dessous les principales caractéristiques de cette forme d’élevage.

Une production alimentaire plus efficiente

Pour produire 1 kg de bœuf, de porc ou de volaille, il faut respectivement près de 10 kg, 5 kg et 2,5 kg de moulée. C’est ce qu’on appelle le taux de conversion alimentaire. Mais saviez-vous qu’il n’en faut en moyenne que 1,7 kg pour produire 1 kg d’insectes?

Cet avantage est notamment dû à leur métabolisme dit « à sang froid », qui n’a pas à dépenser d’énergie pour se maintenir à une température constante, à leur court cycle de croissance et à leur taux élevé de reproduction.

Des impacts environnementaux réduits

Le saviez-vous?La consommation d’insectes par l’être humain se nomme l’entomophagie.

Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, l’élevage animal :

  • Est responsable de 18 % des émissions mondiales de gaz à effet serre (GES), soit plus que tous les secteurs du transport combinés
  • Occupe plus de 70 % des terres agricoles mondiales
  • Accapare 8% de toutes les réserves d’eau potable

La solution? On peut réduire significativement cette empreinte écologique en :

  • Incorporant ces insectes dans les moulées commerciales pour nourrir les animaux d’élevage (par exemple en remplacement des farines de poisson)
  • Substituant une part de la viande que nous consommons par des insectes

L’entotechnologie (soit l’approche technologique de production d’insectes) permet aussi de réduire ou d’éviter l’utilisation d’eau, de sols et d’engrais en utilisant des résidus agroalimentaires plutôt que des cultures destinées à la consommation humaine ou animale, comme le soya ou le maïs.

Aussi, les insectes élevés avec des résidus organiques peuvent remplacer les moulées composées de farines et d’huiles de poissons sauvages pour les élevages de poissons carnivores, comme les saumons. Cela permet de réduire la pression de la surpêche sur nos écosystèmes aquatiques.

Finalement, à la fin du processus d’élevage des insectes, il reste un mélange nommé « frass », qui est composé des aliments non consommés, des excréments et de mues d’insectes. De la recherche est encore nécessaire pour démontrer sa qualité agronomique et son innocuité (c’est-à-dire qu’il n’est pas nuisible), mais ses particularités pourraient en faire un produit de niche recherché en horticulture ou en agriculture, tout comme les composts de crevettes ou de vers de terre.

Quels sont les résidus pouvant être utilisés pour l’élevage d’insectes?

Comme nous, les insectes ont des préférences alimentaires. La nature et la qualité de ce qu’ils ingèrent influencent aussi leur utilisation finale en raison de la gestion des risques sanitaires.

En conséquence, ce sont les résidus organiques préconsommation triés à la source (c’est-à-dire les résidus organiques qui sont générés avant d’atteindre le consommateur) qui pourraient se prêter le mieux à l’alimentation des insectes d’élevage.

Par exemple, les résidus des épiceries (fruits et légumes), des minoteries (farines), des boulangeries (pain) ou des brasseries (drêches, houblons et lie) situées sur votre territoire pourraient intéresser des entreprises d’élevage d’insectes en raison de la facilité d’accès à de grandes quantités d’une matière homogène et potentiellement moins contaminée.

La recherche et développement

Des projets de recherche et développement en laboratoire et des projets pilotes sont en cours au Canada, mais il existe aussi des activités industrielles déjà implantées au pays et dont les produits sont autorisés par l’Agence canadienne d’inspection des aliments.

Les élevages d’animaux de ferme et d’aquaculture ont bénéficié de plusieurs décennies de recherche et développement pour optimiser les processus. Par comparaison, les élevages d’insectes en sont encore à leurs premiers balbutiements.

Avant de pouvoir déployer plus largement cette approche innovante, beaucoup de recherche est encore nécessaire pour :

  • Trouver les meilleures combinaisons d’insectes pouvant valoriser différentes recettes de résidus organiques
  • Valider l’innocuité des insectes et les bénéfices des sous-produits
  • Analyser les impacts du processus d’élevage des insectes tout au long du cycle de vie

État des lieux de l’entotechnologie au Québec

Les principaux freins

Le saviez-vous?La Food and Drug Administration (FDA) estime que l’Américain moyen consommerait involontairement entre 1 et 2 livres d’insectes par année, puisque des fragments seraient inévitablement présents et acceptés par les autorités dans une grande variété de produits, notamment ceux à base de noix et de céréales (ex. : beurre d’arachides, chocolat, pâtes alimentaires et bière).

Les appréhensions liées à un manque de connaissances des avantages de cette approche sont un frein important.

De fortes barrières psychologiques empêchent l’adoption à grande échelle de cette approche dans la vaste majorité des pays développés.

La raison? Ces barrières seraient attribuables à la néophobie, soit un sentiment de peur face aux aliments méconnus.

Cette réaction apparaît toutefois irraisonnée dans le cas des insectes comestibles étant donné les faibles risques de contamination qu’ils représentent, surtout quand on les compare à ceux qui prévalent avec la viande conventionnelle.

Les principaux leviers

RemerciementsMerci à Didier Marquis, étudiant au doctorat à l’Université Concordia, spécialisé dans la perception du public face à l’entomophagie, et à Louise Hénault-Ethier, chercheure postdoctorale à l’Université Laval, spécialisée dans la valorisation des résidus organiques à l’aide des insectes, pour leur apport au contenu de cette page.

L’un des principaux leviers est le fait que les mentalités changent.

Selon un sondage réalisé en 2017 par un chercheur de l’Université de Sherbrooke :

  • L’ensemble des répondants (à l’exception des végétariens) consommeraient des poissons, poulets, bœufs ou porcs élevés avec des moulées à base d’insectes
  • Seuls 24 % à 26 % accepteraient les résidus alimentaires et de ferme dans l’alimentation des insectes d’élevage

Un sondage plus récent effectué par un chercheur de l’Université Concordia démontre que la très grande majorité des personnes sondées sont conscientes des bénéfices nutritionnel et écologique associés à la consommation d’insectes.

Toutefois, avant que l’utilisation d’insectes soit intégrée à grande échelle à la moulée ou encore aux aliments pour la consommation humaine, d’importants défis techniques, logistiques, biologiques, environnementaux et politiques restent encore à régler.