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L'assassinat d'un leader sikh provoque une crise entre le Canada et l'Inde

L'assassinat d'un leader sikh est à l'origine d'une crise entre le Canada et l'Inde. [KEYSTONE - SEAN KILPATRICK]
Inde-Canada: la crise diplomatique qu'on n'avait pas vu venir / Tout un monde / 4 min. / le 20 septembre 2023
Le Canada et l'Inde sont plongés mardi dans une grave crise diplomatique, marquée par des expulsions réciproques de diplomates. A l'origine, l'accusation par Ottawa la veille contre New Delhi d'être impliquée dans l'assassinat d'un leader sikh dans l'ouest canadien.

Les tensions ont soudainement bondi lundi après l'annonce choc du Canada, qui a suggéré que New Delhi était impliqué dans l'assassinat de Hardeep Singh Nijjar, un citoyen canadien, devant son temple dans l'ouest du pays, en juin.

Militant pour la création d'un Etat sikh connu sous le nom de Khalistan, Hardeep Singh Nijjar, arrivé au Canada en 1997 et devenu citoyen canadien en 2015, était recherché par les autorités indiennes pour des faits présumés de terrorisme et de conspiration en vue de commettre un meurtre.

Des accusations qu'il niait, selon l'Organisation mondiale des Sikhs du Canada, regroupement à but non lucratif qui vise à défendre les intérêts des sikhs canadiens.

Des manifestants chantent devant le bureau du Consulat général de l'Inde lors d'une manifestation dénonçant le récent assassinat de Hardeep Singh Nijjar à Vancouver, le 18 septembre 2023. [KEYSTONE - ETHAN CAIRNS]
Des manifestants chantent devant le bureau du Consulat général de l'Inde lors d'une manifestation dénonçant le récent assassinat de Hardeep Singh Nijjar à Vancouver, le 18 septembre 2023. [KEYSTONE - ETHAN CAIRNS]

Diplomates expulsés

En quelques heures, un diplomate de chaque pays a été expulsé et le ton est monté, le gouvernement indien qualifiant ces accusations d'"absurdes" et démentant "tout acte de violence au Canada".

Cette affaire "est extrêmement grave et a des conséquences importantes, tant sur le plan du droit international que sur d'autres aspects pour le Canada", a déclaré mardi Justin Trudeau qui demande à New Delhi de la "prendre au sérieux".

"Nous ne cherchons pas à provoquer. Nous présentons les faits tels que nous les comprenons", a-t-il ajouté.

Ottawa a déjà promis un suivi de l'enquête pour "que les responsables rendent des comptes", a déclaré Justin Trudeau.

Un "coup d'éclat"

Cette affaire s'inscrit dans un contexte particulier, celui d'une fragilité de l'Etat canadien face aux ingérences étrangères, chinoise en particulier ces derniers temps. Un député canadien, d'origine chinoise, s'est dit victime de menaces de la part de Pékin, le visant lui et sa famille, et d'autres soupçons d'ingérences existent. "On a beaucoup reproché au gouvernement de Justin Trudeau de ne pas prendre assez au sérieux les ingérences étrangères", analyse Dominique Caouette, professeur en science politique et membre du Centre d'étude asiatique à l'Université de Montréal, mercredi dans l'émission de la RTS Tout un monde.

Et de poursuivre: "Justin Trudeau a voulu faire un coup d'éclat en envoyant un signal fort à la population canadienne. D'autant plus qu'on parle d'une exécution extrajudiciaire, ce qui est relativement unique dans l'histoire du Canada."

Accusations rejetées par l'Inde

Selon ce dernier, le Canada s'appuie sur des "éléments crédibles". Justin Trudeau avait évoqué ces accusations lors de sa rencontre avec le Premier ministre Narendra Modi pendant le récent G20 à New Delhi, lesquelles avaient été "complètement rejetées".

Les accusations canadiennes "visent à détourner l'attention des terroristes et extrémistes khalistanais, qui ont trouvé refuge au Canada et continuent de menacer la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Inde", a dénoncé le gouvernement indien.

Le Premier ministre Justin Trudeau participe à une réunion bilatérale avec le Premier ministre indien Narendra Modi lors du sommet du G20 à New Delhi, en Inde, le 10 septembre 2023. [KEYSTONE - SEAN KILPATRICK]
Le Premier ministre Justin Trudeau participe à une réunion bilatérale avec le Premier ministre indien Narendra Modi lors du sommet du G20 à New Delhi, en Inde, le 10 septembre 2023. [KEYSTONE - SEAN KILPATRICK]

L'Inde s'est souvent plaint de l'activité de la diaspora sikhe à l'étranger, notamment au Canada, susceptible selon New Delhi de relancer le mouvement séparatiste grâce à une aide financière massive.

L'Etat indien du Pendjab, qui compte environ 58% de Sikhs et 39% d'Hindous, a été secoué par un violent mouvement séparatiste dans les années 1980 et au début des années 1990, qui a fait des milliers de morts. Aujourd'hui, les partisans les plus virulents du mouvement sont principalement issus de la diaspora de cette région.

Narendra Modi avait exprimé ses "vives inquiétudes quant à la poursuite des activités anti-indiennes des éléments extrémistes au Canada" lors de sa rencontre avec Justin Trudeau. Dominique Caouette souligne qu'au sein de la diaspora sikh au Canada, le courant séparatiste radical est minoritaire.

A noter qu'au printemps dernier, dans deux autres pays, le Pakistan et le Royaume-Uni, deux activistes indépendantistes sikhs sont morts dans des conditions suspectes.

Négociations sur un accord de libre-échange suspendues

Signes de la crise qui couvait, Ottawa a suspendu récemment les négociations en vue d'un accord de libre-échange avec l'Inde et la ministre du Commerce a annulé la semaine dernière un déplacement prévu dans le pays en octobre.

"L'Inde allait figurer comme l'un des principaux Etats alliés dans la stratégie canadienne de développement dans la région indo-pacifique qui vise à contrebalancer la Chine, explique Dominique Caouette, professeur en science politique et membre du Centre d'étude asiatique à l'Université de Montréal. L'Inde est un marché important pour les exportations canadiennes, on parle de 1,4 milliard d'habitants avec une classe moyenne en plein développement."

Le Canada abrite la communauté sikhe la plus importante du monde en dehors de l'Inde. Lors du recensement de 2021, 770'000 Canadiens se revendiquaient du sikhisme, soit 2% de la population du pays.

vajo avec afp

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Les Etats-Unis "profondément préoccupés"

L'affaire est suivie de près ailleurs dans le monde. Washington s'est dit mardi "profondément préoccupé par les allégations" canadiennes.

"Il est très important que l'enquête du Canada se poursuive et que les coupables soient traduits en justice", a commenté la porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche.

De son côté, Londres a estimé qu'il est "particulièrement important" de laisser les autorités canadiennes mener l'enquête.

Inquiète, la communauté sikhe du Canada encourage Ottawa à durcir le ton face à l'Inde

Très mobilisée depuis cet assassinat, la communauté sikhe s'est réjouie des déclarations canadiennes.

"Ce n'était qu'une question de temps avant que la vérité éclate", a déclaré Balraj Singh Nijjar, le fils de la victime, pour sa première prise de parole publique. "J'espère que vous pourrez aller plus loin et mettre la main sur des individus précis", a-t-il ajouté à l'adresse des autorités canadiennes.

"L'annonce de Justin Trudeau a peut-être surpris de nombreux Canadiens mais pas la communauté sikhe", a renchéri Mukhbir Singh, de l'Organisation mondiale des sikhs du Canada.

"Depuis des décennies, l'Inde cible les Sikhs au Canada par l'espionnage, la désinformation et maintenant le meurtre", a-t-il dénoncé lors d'une conférence de presse au parlement canadien.