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Santé

Des chercheurs testent pour la première fois des protections hygiéniques avec du sang, et montrent qu’aucune n’est adaptée

Les règles ne sont ni bleues, ni aussi liquide que de l’eau. C’est pourtant en 2018 seulement que le sang menstruel est pour la première fois représenté en rouge dans un spot publicitaire, et en 2023 que les protections périodiques sont testées non pas avec de l’eau, mais du sang.

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Une serviette périodique.

Une serviette périodique.

Riccardo Milani / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Une serviette périodique.
Des chercheurs testent pour la première fois des protections hygiéniques avec du sang, et montrent qu’aucune n’est adaptée
Enola Tissandié
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Les saignements abondants affectent jusqu'à un tiers des femmes en période de menstruation et ont un impact négatif sur la qualité de vie. Pourtant, il aura fallu attendre 2023 pour que des chercheurs testent pour la première fois des protections périodiques avec du sang. Jusqu’à présent, leur taux d’absorption était exclusivement mesuré à l’aide d’eau ou de solution saline. Une pratique qui questionne, à la fois dans les laboratoires et les industries, alors que se développent depuis quelques années une multitude de solutions alternatives pour lutter contre les saignements abondants.

Pour mieux comprendre la capacité d’absorption de ces nouveaux produits, quatre chercheuses de l’université de Portland ont testé 21 solutions d’hygiène menstruelle disponibles sur le marché, mais cette fois-ci avec du sang. Leurs résultats sont publiés dans la revue BMJ Sexual & Reproductive Health.

"Ce qui compte pour moi, c’est l’absorption"

Écologiques, confortables, absorbantes,… Les promesses des protections hygiéniques sont nombreuses, tout comme leurs formats. Du tampon à la cup, en passant par des méthodes moins invasives comme la culotte menstruelle ou la serviette jetable, tout le monde devrait y trouver son bonheur. Mais l’absorption, utilité première de la protection menstruelle, semble encore insuffisante pour bon nombre d’utilisatrices au flux important.

"Ce qui compte pour moi, c’est l’absorption, et une méthode non-invasive", affirme Cécile, 35 ans, à Sciences et Avenir. Après avoir testé les sous-vêtements menstruels, elle s’est finalement rabattue sur les serviettes jetables. Lors d’un cycle menstruel "classique", les personnes menstruées perdent entre 50 et 80 mL de sang. Parmi les 21 produits d'hygiène menstruelle testés par les chercheurs, ce sont en effet les sous-vêtements menstruels qui ont retenu la plus petite quantité de sang (2 mL). À l’inverse, le disque menstruel, dérivé de la cup et encore peu connu, est celui qui a absorbé le plus de sang (de 60 à 80 ml).

"Avant de passer à la pilule j’avais un flux très très abondant", explique Éloïse, 22 ans. "Je choisis toujours des serviettes très absorbantes, avec des ailettes car j’ai peur des fuites. Malheureusement, ce sont aussi les plus chères et les moins disponibles". Les résultats de l’étude montrent qu’il existe peu de solutions pour les flux très abondants, supérieurs à 80 mL. Les tampons et les serviettes hygiéniques les plus absorbantes, ainsi les coupes menstruelles contiennent des quantités de sang d’environ 20 à 50 mL. Des changements récurrents restent donc nécessaires pour éviter les fuites.

Les règles de la jungle

Cette étude, destinée aux cliniciens, souligne l’importance d'interroger les personnes menstruées sur le type de produits qu'elles utilisent et sur la manière dont elles les utilisent. L’objectif est ainsi de lutter contre les effets indésirables d’un flux supérieur à 80 mL (anémie, fatigue chronique), et le sous-diagnostic de certaines maladies comme l’endométriose. Pourtant, seuls les tampons sont obligatoirement soumis à des tests d’absorptions avant leur mise sur le marché. "C’est la jungle", confirme Wye Morter, co-fondatrice de la marque française de culottes menstruelles Rejeanne, "chaque marque fait ce qu’elle veut".

Comme dans la plupart des industries, les tests de la marque sont réalisés avec de l’eau. "Nos tests en interne sont réalisés avec de l’eau, car c’est le pire scénario possible en terme de fuites. Si la culotte retient l’eau, alors elle retiendra un produit plus épais", poursuit Wye Morter. Mais la fondatrice effectue tout de même des tests supplémentaires avec un liquide plus épais, composé d’eau et de glucose "pour calculer la rapidité de pénétration d’un fluide proche du sang en termes de densité".

Dans l’étude, les chercheuses ont utilisé des produits à base de globules rouges périmés provenant de banques de sang. "Le sang menstruel varie d'une personne à l'autre et probablement même d'un jour à l'autre chez une même personne, et il n'est pas possible de collecter du sang menstruel dans la quantité nécessaire pour une étude comme celle-ci", explique Bethany Samuelson Bannow, co-autrice de l’étude, "mais c’est une option certainement supérieure à la solution saline ou à l’eau".

"Je testerai chez moi", affirme Wye Morter, intriguée par cette étude. "Quitte à tester avec du sang, autant prendre du sang de règles", poursuit-elle, "mais ce n’est pas évident d’en recueillir pour des tests en laboratoire avec des fioles millimétrées. Nous avons nos panels de testeuses, mais ils ne permettent pas de mesurer exactement le taux de liquide absorbé".

Un décalage entre la clinique et l’industrie

Comment expliquer ce manque de rigueur dans l’industrie des produits menstruels ? "Il s'agit en fait d'un décalage entre les entreprises et les cliniciens", explique le Dr Samuelson Bannow : "Les entreprises fabriquent des produits pour aider les femmes à gérer leurs règles, nous cherchons à estimer la perte de sang". Simple décalage ou sexisme médical ? 800 millions de personnes ont leurs règles dans le monde chaque jour. Pourtant, depuis 1950, seulement 400 études scientifiques sur les menstruations ont été réalisées, et aucune n’a élaboré un liquide d’une densité similaire au sang menstruel pour simplifier les tests.

A titre de comparaison, la publication du BMJ a recensé plus de 10.000 articles scientifiques sur la dysfonction érectile. "Je ne considère pas nécessairement qu'il s'agit d'un échec des entreprises, mais plutôt d'un échec de la société à donner la priorité à la santé menstruelle, ainsi que d'une lacune dans les connaissances médicale", regrette la chercheuse.

Tampon Task Force
La norme du poids en grammes de solution saline absorbée par les tampons a été développée dans les années 1980 par la Food and Drug Administration (FDA), une agence américaine de réglementation, pour la Tampon Task Force. Ce groupe de travail a été créé pour normaliser les taux d'absorption des tampons afin de permettre aux consommatrices de sélectionner le niveau d'absorption minimum pour leurs besoins, réduisant ainsi le risque de syndrome de choc toxique. Il ne s'agissait pas vraiment de quantifier les pertes de sang, mais simplement de créer une norme. "Nous voulons que chaque personne qui a ses règles sache si elles sont vraiment "normales" ou non, et qu'elle ait accès à des évaluations et à des traitements si ses règles sont abondantes", conclut la chercheuse, qui encourage les personnes menstruées à parler plus ouvertement de leurs règles à leur médecin.

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